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Ce sont comme les derniers soupirs de l’âme celtique qui se raconte elle-même dans son rêve[1].

Dans cette courte promenade à travers la Bretagne d’aujourd’hui, j’essaierai donc d’esquisser une histoire du génie celtique en ses périodes vitales et de pénétrer dans son arcane à travers ses grandes légendes.


I. — TEMPS PRÉHISTORIQUES, LE MORBIHAN ET LES MONUMENS DE KARNAC.

Pour entrer de plain-pied dans le vieux monde celtique, il faut aborder la Bretagne par le midi. Le sombre Morbihan et l’âpre Finistère ont conservé quelque chose de leur physionomie ancienne. Sans doute les noires forêts, où des houx grands comme des chênes formaient des haies colossales, les marais où le buffle, le cerf et l’élan plongeaient leurs naseaux fumans, ont disparu. Mais les mêmes vagues enveloppent toujours les mêmes îles sauvages et les côtes déchiquetées à l’infini ; les innombrables dolmens, les menhirs dressent toujours leurs profils bizarres sur les landes ; les costumes des habitans rappellent encore un passé lointain ; et leur langue singulièrement primitive, à l’accent guttural, aux voyelles franches, aux consonnes sonores, tantôt rude comme un cri d’oiseau de mer, tantôt douce comme un gazouillis de fauvette, est la vieille langue celtique, presque la même qui retentit au port de Kaërnarvon, au pays de Galles et sur les flancs du Snowdon, la montagne sacrée des bardes. Entrons donc en Morbihan pour y trouver quelques souvenirs de l’enfance de cette race qui se perd dans la nuit des temps.

La Loire, riante à Blois, majestueuse à Tours, s’attriste aux ardoisières d’Angers, près du sombre château du roi René, d’où les Plantagenets régnèrent si longtemps sur la France. Il semble qu’elle regrette ses berges boisées, ses châteaux somptueux paresseusement mirés dans ses eaux dormantes, séjours voluptueux de rois et de favorites. A Nantes, elle tourbillonne, furieuse, comme si elle se souvenait des noyades de Carrier. Bientôt elle se trouble, elle jaunit et se crispe à la houle des grosses marées. Adieu les doux méandres dans les molles contrées. Les rives s’écartent et s’aplatissent. Voici déjà les lourds navires de Saint-Nazaire qui reviennent des Antilles et du Mexique. Le bateau danse,

  1. Soniou Breis-Izel, chansons populaires de la Basse-Bretagne, recueillies et traduites par M. Llzel. — Ce beau recueil est précédé d’une introduction de M. Le Braz, qui, poète lui-même et grand folkloriste, a su donner un tableau vivant et complet de la poésie populaire dans la Bretagne celtique d’aujourd’hui.