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assurément ; ils en ont les faibles et les travers, la prétention, la présomption, la suffisance. De là, généralement, leur peu de distinction ou d’élégance, leur mauvais goût ou leur mauvais ton, leur peu de tact, leurs façons outrées dans un sens ou dans l’autre, tantôt familières et sans gêne, tantôt apprêtées et cérémonieuses ; leur peine, en un mot, à demeurer dans la mesure de l’homme du monde. De là, en partie, cette vanité qui s’étale naïvement chez des hommes d’habitude peu ingénus, d’autant plus grande et plus chatouilleuse que le juif a plus longtemps souffert dans son amour-propre. De là aussi, en partie, cet appétit de titres, de croix, de rubans, de distinctions de toute sorte, dont le juif semble d’autant plus affamé qu’il en a plus longtemps jeûné, et, qu’en ayant été privé, il est enclin à leur donner plus de prix et à leur trouver plus de saveur. De là aussi ce besoin de faire du bruit, de se faire voir, de faire parler de soi, d’éblouir les autres et les siens ; de là ce luxe souvent criard, cet amour des bijoux, des équipages, des fêtes retentissantes, de tout ce qui reluit et tire l’œil ; on sent l’homme heureux de faire parade des richesses qu’il a si longtemps été obligé de cacher. De là aussi, quelquefois, les excentricités d’hommes d’ailleurs fort avisés ; c’est le jeune Disraeli, habillé de velours et de satin, avec ses mains chargées de bagues et ses prétentions de dandy ; c’est Lasalle, le démocrate socialiste, se faisant le chevalier de la comtesse Hatzfeld et jouant sottement sa vie, par amour-propre, pour épouser une jeune aristocrate bavaroise dont la famille ne veut pas de lui. — « Un Anglais a dit que, pour faire un gentleman, il faut, quatre générations. Or, ces quatre générations, bien rare le juif qui les a derrière lui. » Ainsi me parlait un riche israélite de Varsovie. Le propos est juste. En dehors de quelques dizaines, de quelques centaines de familles, au plus, le juif est presque toujours un homme nouveau, a self-made man. Il s’est élevé brusquement ; c’est un soldat de fortune. Il n’a pas encore eu le loisir de prendre les goûts, les manières, le ton, et, ce qui est peut-être plus malaisé, les sentimens d’un gentleman. Cela ne prouve point qu’il ne le puisse devenir ; avant d’en décider, il faut lui faire crédit de deux ou trois générations. Est-ce même toujours nécessaire ? Si rares qu’ils nous semblent, j’ai, pour ma pari, connu des juifs français, anglais, italiens, voire des juifs allemands, polonais ou russes qui, pour l’élévation des sentimens, méritaient, autant qu’aucun chrétien, le titre de galant homme.

A ceux qui croiraient le juif irrémissiblement dégradé, il suffirait de rappeler les noms de tant de juifs, circoncis ou baptisés, qui ont fait honneur au vieux sang d’Israël. On en trouve dans tous les temps, au moyen âge comme de nos jours, — à l’époque même où