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contenir et la conduire. Le juif est le contraire de l’homme de la nature, de l’homme primitif, emporté et effréné, tout en dehors et tout d’instinct. À cet égard, rien ne lui ressemble moins que le juif de Malte, le Barrabas de Marlowe, furieux et féroce. La brute cruelle et impudique, qui est au fond de tout homme, apparaît plus rarement chez lui ; elle a été matée. Le juif, d’habitude, n’est pas homme de premier mouvement ; il n’a ni la fougue méridionale, ni l’emportement sanguin des races du Nord. S’il sent vivement, en homme nerveux, il ne s’abandonne point aux brusques impulsions des nerfs. Ses passions ne sont point des chevaux impatiens qui hennissent et piaffent ; il les a dressées, il leur a appris à ne point se cabrer ; atout le moins il les tient en rênes et ne leur rend pas la main. Chez quelques-uns, il est vrai, — phénomène nouveau, — il y a parfois une sorte de revanche de la nature, comme une explosion des passions longtemps comprimées ; mais c’est encore l’exception. À la différence du Slave ou du Celte, le juif est rarement « impulsif ; » il sait attendre et se dominer. Les siècles lui en ont donné l’habitude ; il a été, si longtemps, obligé de toujours se surveiller et se contrôler. Aujourd’hui encore, il se sent épié par des regards hostiles. — « Vous ne sauriez croire combien cela est fatigant de toujours s’observer ainsi, » me disait un israélite ; mais, pour la plupart, le pli est pris. Le juif est maître de lui-même, et cet empire de soi lui vaut d’être facilement maître des autres. Le juif écoute moins l’instinct ou la passion que la raison. Si le propre de l’homme est d’être un être raisonnable, le juif est le plus homme des hommes.

Pour lui, il est vrai, la voix de la raison est, d’habitude, la voix de l’intérêt ; mais n’est-ce pas là, pour presque tous les humains, ce qu’ils appellent être raisonnable ? Le juif a cette supériorité, qu’il comprend souvent mieux ses intérêts, et que, les comprenant, il s’y attache, et ne s’en laisse pas distraire. Il y a chez lui peu « d’emballement ; » tout est calcul réfléchi et dessein suivi. Il a la patience et la persévérance qui font réussir les grandes entreprises et les petites. Rien ne le rebute, rien ne le lasse, rien ne le déconcerte. Rappelez-vous son énergie, faite à la fois de ténacité et de souplesse. Sa volonté est un arc toujours tendu, et son œil ne s’écarte point du but. Que d’avantages dans ce qu’on se plaît à appeler la lutte pour la vie ! Cette lutte, que nous sommes fiers d’avoir récemment découverte, le juif la connaissait mille ans avant Darwin ; il y a été longuement préparé par les siècles et laborieusement dressé par nos ancêtres. Il a pris, dans la servitude et la misère, les qualités qui conquièrent le pouvoir et mènent à la fortune. Son caractère, aussi bien que son intelligence, a été équipé