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qu’il déterre dans les ordures. L’abjection était devenue la part du juif ; c’était son lot. Il ressemblait à ces animaux qui ont appris à se nourrir de charognes et de débris putrides. Il vivait de l’ignoble, il se résignait aux métiers borgnes qu’on exerce, la nuit, furtivement, dans les quartiers mal famés. Libre au chevalier, au clerc, au bourgeois chrétien, de se regarder comme une créature noble à laquelle les actions basses sont interdites. Ces actions basses, ces besognes viles, auxquelles le chrétien ne voulait pas s’abaisser, étaient souvent les seules qu’il permît à ces chiens de juifs. Où le prêteur sur gage et le brocanteur, où le fripier et le revendeur du ghetto eussent-ils pris le point d’honneur, bien ou mal placé qui faisait qu’un gentilhomme se tenait debout devant un Philippe II ou un Louis XIV ?

Ce n’était point que ce paria n’eût, lui aussi, son orgueil. Aucune race peut-être n’a été plus orgueilleuse d’un orgueil concentré, et comme cuirassé d’humilité, que rien n’entamait. Ne pouvant exiger de respect pour sa chétive personne, le juif s’est réfugié dans un orgueil collectif ; il a eu l’orgueil de son peuple, de sa loi, de son Dieu. Jamais il n’a perdu sa foi en la supériorité d’Israël. Il avait, vis-à-vis de ses seigneurs chrétiens ou musulmans, les sentimens d’un fils de roi vendu comme esclave et condamné à de vils offices par des maîtres grossiers. En cédant à la force, il gardait, dans sa loi, un réduit intérieur où les injures ne pouvaient l’atteindre. Les chevaliers, les seigneurs, les prélats, les grands du monde, tout comme la foule des goïm n’étaient, à ses yeux, que des barbares d’un sang moins noble, et d’une culture, — presque d’une race inférieure. Quel mépris devait couver ce cœur de juif pour les chrétiens, dont les vices le faisaient vivre ! pour ces grands corps de barons bardés de fer, qui, selon le conseil de saint Louis à Joinville, ne savaient argumenter, contre le juif, qu’à coups d’épée dans le ventre ! Les Gentils n’avaient pour eux que la force brutale. En se prêtant aux plus repoussantes besognes, Israël conservait dans son cœur le dédain de ceux qui l’y contraignaient. Dans la fétidité et l’ignominie de la Judengasse, le juif, coiffé du bonnet jaune, se sentait infiniment au-dessus de ses maîtres incirconcis. Israël seul est noble, Israël seul est pur, et rien ne peut souiller la Maison de Jacob, ou la faire déroger. Dans cette conscience de sa supériorité native, le juif puisait des forces pour tous les abaissemens, de façon que, selon le mot de Lamennais, « aucune souffrance, aucun opprobre n’a pu lasser ni son orgueil, ni sa bassesse. » N’était-il pas, du reste, sûr d’avoir un jour sa revanche ? — « Petit imbécile ! disait dans leur infect cabaret de Sukoviborg, le rabbin Josué à son fils Salomon Maimon, muet d’admiration devant la princesse