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à lire dans les rouleaux de la Thora, avant que ne fût fixé notre alphabet latin, — bien avant que Cyrille et Méthode n’eussent donné une écriture aux Slaves, avant que les lettres runiques ne fussent connues des Germains du Nord. Vis-à-vis d’eux, nous sommes des jeunes, des nouveaux ; ils ont, en fait de culture, une avance sur nous. Nous avons eu beau les enfermer, quelques centaines d’années, derrière les murs du ghetto, le jour où les grilles de leur prison ont été arrachées, ils n’ont pas eu de peine à nous rattraper, jusque dans les voies que nous avions ouvertes sans eux.

On dit souvent que les familles, les nations, les races s’épuisent. Le juif y donne un démenti, pour l’intelligence du moins. Semble-t-il souvent d’un sang appauvri, a-t-il parfois l’air vieux et usé de corps, comme rabougri et abâtardi, son intelligence est toujours vive. Vieille, si l’on veut, par l’ancienneté de la culture, elle n’a rien de décrépit ou de sénile. Et le corps même du juif, là où il nous paraît cassé et dégradé, c’est moins par les siècles que par la misère. A voir les pâles juifs de certaines bourgades de l’Est ou de l’Orient, — à les voir, par exemple, aux bords du lac dont sont partis les pêcheurs qui ont pris le monde dans leur filet, — on croirait Israël une race finie. La décadence paraît s’étendre à l’esprit aussi bien qu’au corps. Mais, jusque chez ces juifs anémiés et avilis, il subsiste un ressort secret, une étonnante faculté de relèvement et de rajeunissement. La sève n’est pas morte ; pour s’en apercevoir, il n’y a souvent qu’à les transplanter du maigre sol des juiveries orientales dans les riches terres de l’Occident.


II

Chez le juif, l’intelligence prime le corps. Je ne sais pas de race plus intellectuelle. Le juif vit surtout par l’esprit. Sa force est moins dans son bras que dans son front. Nous lui en voulons de ne pas toujours vivre du travail de ses bras ; il en serait souvent en peine ; il a rarement, pour cela, assez de biceps. En revanche, il a dans sa cervelle de quoi suppléer à sa faiblesse physique. Dans ce corps débile logent, fréquemment, une intelligence lucide et une volonté forte. Au rebours de l’Hellène antique et de l’Anglais moderne, la supériorité du juif n’est pas faite d’un bel équilibre entre le corps et l’esprit. Nul n’a plus souvent mis en défaut le mens sana in corpore sano.

De même, et par la même raison, la vie animale, chez le juif, semble réduite au minimum. Par le fait de sa constitution physique, et aussi par le fait de l’antiquité de sa culture, les instincts animaux, les appétits brutaux sont, chez lui, moins puissans et moins impérieux. Le corps a moins d’exigences ou moins