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frappe. Le juif est de bonne heure flétri par la vie, dit lui-même Graetz, son historien. Cela est vrai. Sa jeunesse est souvent comme déveloutée. Ses traits tirés ont, avant l’âge, quelque chose d’usé ; son front est sillonné de rides précoces. Le juif, pourrait-on dire, naît vieux ; son regard, si perçant et intense, a souvent quelque chose de vieillot. Il semble qu’il y ait autour de sa personne un air de vétusté, comme sur les maisons de la Judengasse. Parlant d’eux, on est toujours tenté de dire : « Ces vieux juifs ; » il semble que la jeunesse ne leur aille point. En certains pays, là-bas, vers l’Est, on est enclin à leur contester le droit d’être jeunes ; si, par hasard, ils se permettent les jeux bruyans de l’adolescence, on en est choqué, on se plaint de leur turbulence et, au besoin, de leur insolence. Les ébats et les plaisirs de la jeunesse paraissent si peu leur fait qu’on est tenté de les leur interdire.

C’est qu’en effet le juif, fils de juif, est de vieille race ; et ses goûts, ses passions, son caractère, son tempérament, tout, chez lui, s’en ressent. Qu’il descende, ou non, des patriarches ensevelis dans la grotte d’Hébron, le juif appartient à une famille ancienne, il a derrière lui une longue lignée d’ancêtres. Seul il peut, sans invraisemblance, faire remonter sa généalogie, à travers les âges, jusqu’à des temps préhistoriques. Près des juifs, les aînés des peuples de la vieille Europe sont des adolescens. Laquelle de nos dynasties ou de nos maisons féodales oserait comparer la longueur de ses années à celles de la Maison d’Israël ? Et ce n’est pas là seulement une antiquité de date. Israël est surtout une race ancienne par l’antiquité de sa culture. Il y a longtemps qu’a commencé, pour les fils de Jacob, — dans Jérusalem, dans Babylone, dans Alexandrie, — le travail de la tête et le dur labeur du cerveau. Veut-on considérer les juifs comme une race, voilà peut-être le fait capital, c’est la race la plus anciennement cultivée de notre monde méditerranéen. C’est, à la fois, celle dont la culture remonte le plus haut, et celle dont la culture a subi le moins d’interruptions. Vingt siècles, c’est, pour une famille humaine, un long entraînement. Que sont, à cet égard, les héritiers de notre vieille bourgeoisie ou « les fils des croisés, » comparés aux Lévy, fils des Lévites, ou aux nombreux Cahen, Cohen, Kohn, Kann, Cöhn dont les aïeux authentiques, les cohanim du Temple, ont brûlé des aromates, devant l’Éternel, sur l’autel des parfums, avant d’aller, à l’ombre de Babel, discuter, sur l’origine du monde, avec les devins de la Chaldée et les mages de l’Iran ?

L’antiquité et la continuité de leur culture intellectuelle est, — après la sélection séculaire, — ce qui, à mon sens, explique le mieux les juifs, et la place prise par Israël dans nos sociétés. Ils sont venus avant nous ; ils sont nos aînés. Leurs enfans ont appris