Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/373

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous paraissent tenir surtout aux observances de la loi, particulièrement aux règles sur la pureté corporelle et la pureté de la nourriture. La loi a, pour Juda, une valeur prophylactique ; il faut toujours se rappeler quelle place elle fait au corps. Certains modernes rabaissent la morale à n’être plus qu’une sorte d’hygiène. Ce n’est certes pas ce que fait la loi donnée au milieu des éclairs sur le Sinaï ; mais, dans la pratique, la loi et le code rabbinique aboutissent presque au même résultat que la morale positive, — et cela avec autrement d’autorité. Le judaïsme a mis la foi au service de l’hygiène ; il a fait tourner la piété au profit de la santé. La Thora voulait faire d’Israël un peuple sain et saint, sanus et sanctus ; les deux idées sont, pour elle, étroitement liées. Aucune religion n’a pris pareilles précautions contre les maladies et contre les épidémies. A cet égard, les prescriptions de la Thora ou du Talmud se rapprochent singulièrement de celles que nos académies de médecine voudraient faire consacrer par les lois civiles.

Les règles minutieuses de la loi sur la chair des animaux destinés à l’alimentation de l’homme ont longtemps paru puériles. Et voici que, après trois mille ans, nos physiologistes sont venus venger la Bible. La Thora a la science pour elle. On dirait que le rédacteur du Pentatenque a pressenti M. Pasteur. « Moïse, affirmait un juif polonais, avait découvert la trichine : c’est pour cela qu’il a prohibé la viande de porc. » Le fait est que la plupart des animaux déclarés impurs par le Lévitique, le porc, le lièvre, le gibier, les mollusques, les crustacés, sont aujourd’hui interdits pour nombre de maladies, pour les maladies de peau notamment. Encore faut-il faire la part du climat de l’Orient, où de pareilles maladies ont été de tout temps si fréquentes. « On pourrait presque soutenir, me disait un médecin, que le législateur des Hébreux connaissait la tuberculose, tant il prend de précautions contre elle. Il avait deviné, trente siècles avant nous, que la phtisie peut se transmettre des animaux à l’homme. » C’est ainsi que le Shohet, le sacrificateur israélite, doit écarter tout animal qui, à l’autopsie, présente la plus légère adhérence de la plèvre ; on insuffle, pour les vérifier, les poumons des bêtes égorgées.

Si nos abattoirs étaient sous la surveillance du shohet juif, nul doute que la fréquence des maladies ne diminuât et que la moyenne de la vie ne fût allongée. Au lieu de demander aux israélites de renoncer à leurs boucheries et à la distinction des viandes kacher et terefa (pure et impure), nous ferions mieux de la leur emprunter[1]. Si l’abandon des pratiques de la loi n’eût été la

  1. Nous ferions cependant des réserves sur la manière de tuer les animaux. Il se peut qu’il ne soit pas plus cruel d’égorger les bœufs que de les assommer ; mais il serait à désirer qu’on procédât avec plus de rapidité. La synagogue devrait chercher à donner, sur ce point, satisfaction à nos modernes sentimens d’humanité, alors même que le bien fondé lui en paraîtrait contestable. C’est, du reste, ce qu’ont fait déjà certaines communautés israélites, à Genève, par exemple.