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de la classique Judengasse de Francfort ont été rasés. Le tortueux dédale du ghetto de Rome, avec la piazza Giudea et la via Rua, est tombé sous la pioche italienne, au grand regret des pauvres Ebrei. Ils y avaient vécu si longtemps ! ils étaient faits à ses vicoli infects. Pie IX, en en abattant les murs, leur avait en vain octroyé le droit d’en sortir. Bien peu en avaient profité. Beaucoup ont pleuré d’en être chassés pour faire place aux futurs quais du Tibre ; ils n’ont pu trouver, dans la vieille Rome ou la nouvelle, de logemens aussi sordides et aussi peu coûteux. Ce ghetto de la rive gauche du Tibre, je l’avais parcouru bien des fois, depuis une trentaine d’années. Les ruelles étaient étroites, sombres, fétides ; les maisons hautes, vieilles, délabrées, branlaient de vétusté. A l’acre odeur de l’immondezzaio du coin se mêlaient les fades émanations des boutiques de fripiers. Par la porte, sur le pas de laquelle des femmes de tout âge ravaudaient de vieilles loques, se distinguaient à peine, dans l’ombre, des pièces basses et étroites, sans jour et sans air, où grouillaient entassées des familles entières. Le ghetto pontifical, relativement moderne, n’était ni le plus repoussant, ni le plus malsain. Loin de là ; la Rome papale s’était, presque toujours, fait honneur d’être hospitalière aux Hébreux. Son ghetto aurait fait honte à bien des juiveries de l’est ou du centre de l’Europe. Aujourd’hui même, allez en Russie, à Berditchef ou à Vilna, vous trouverez pis[1].

De pareils taudis ne pouvait sortir une belle race. La race, en effet, n’est ni belle ni forte, quoiqu’elle ait, de tout temps, porté de pâles et rares fleurs de beauté, comme pour montrer ce qu’eût pu donner le vieux tronc de Jacob avec de l’air et du soleil. — La race n’est pas belle. « Comment, me demandait une jeune fille de la Petite-Russie, vous inquiétez-vous de ces horribles juifs ? Ils sont si laids qu’ils méritent tous leurs maux. » Montesquieu, plaidant ironiquement pour l’esclavage, disait des nègres : « Ils ont le nez si écrasé qu’il est presque impossible de les plaindre. » J’ai entendu des femmes du monde faire la même réflexion du nez crochu des juifs. Leur laideur est un des secrets griefs pour lesquels ils ont tant de femmes contre eux. — La race n’est pas forte. Le juif, — dans les grandes juiveries de l’Est surtout, — est souvent petit, maigre, malingre ; il a l’air chétif et souffreteux, étriqué et étiolé. Ne vous y trompez pas cependant : sous cette apparence frêle se cache une vitalité intense. On pourrait comparer le juif à ses maigres actrices, aux Rachel ou aux Sarah, qui crachent le sang et semblent n’avoir que le souffle, et qui, une fois

  1. Sur le ghetto de Rome, voyez le livre récent de M. Emmanuel Rodocanachi : le Saint-Siège et les Juifs, le Ghetto de Rome. Didot, 1891.