Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/352

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

procéder à leur abatage en masse, comme on le fait pour les troupeaux atteints de peste bovine ; mais cette mesure n’aurait pas de chances de se faire accepter. L’isolement n’est guère plus pratique. La phtisie est une maladie à évolution très lente. Elle sévit surtout dans les classes pauvres, dans les villes malsaines, dans les quartiers où grouille une population misérable, dans les logemens encombrés, dans les bouges où la même pièce abrite toute une famille. Comment songer à l’isolement dans de pareilles conditions ?

On ne pourrait pas non plus tourner la difficulté en créant pour eux des établissemens spéciaux, car on peut estimer qu’il y a en France de 500,000 à 600,000 tuberculeux, dont les trois quarts ne sont pas en position d’être isolés dans leurs familles. Il faudrait donc, pour les recevoir, créer environ 150,000 lits d’hôpital, ce qui reviendrait à près d’un milliard, même en y mettant la plus stricte économie. Dans les familles riches elles-mêmes, l’isolement rencontrerait de grandes difficultés, et puis, quelle barbarie !

Tout ce qu’il est raisonnable de faire consiste, lorsqu’on le peut, à ne laisser coucher personne dans la chambre d’un tuberculeux, quand il est arrivé à la période de l’expectoration abondante, à moins que son état ne réclame des soins constans. Dans ce cas, on ne peut pas plus songer à le laisser seul qu’on n’a l’idée d’abandonner les varioleux, les cholériques et les pestiférés, dont le voisinage est cent fois plus dangereux.

Comme la transmission de la phtisie est surtout à craindre dans les habitations collectives, il est bon de ne pas laisser les tuberculeux arrivés à la période critique coucher dans le dortoir de leurs camarades et de leur réserver une petite pièce à part dans les infirmeries. Comme leurs accès de toux empêchent leurs voisins de dormir, on peut prendre ce prétexte pour les isoler, sans éveiller leurs inquiétudes.

Il est prudent de faire désinfecter la chambre dans laquelle est mort un phtisique, de lessiver le linge qui lui a servi et de faire passer ses vêtemens à l’étuve avant de les laisser mettre à quelqu’un. Quant aux mesures qu’on a proposées pour les chambres d’hôtel, dans les villes d’eaux et les stations thermales, elles ne sont pas pratiques. Personne, à moins d’être hanté par le fantôme de la tuberculose, ne consentirait à habiter une pièce blanchie à la chaux, sans rideaux, sans tapis, et ressemblant à une cellule de couvent.

Il ne faut conseiller que des choses raisonnables et pratiques, si l’on veut être écouté. Cette circonspection est surtout indispensable quand il s’agit du mariage des phtisiques. C’est le point le plus délicat de l’histoire de la tuberculose. On ne peut pas leur