Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/347

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devenu veuf, la transmet à sa seconde femme. Dans d’autres cas, il s’agit de familles jusqu’alors indemnes, au milieu desquelles est venu s’implanter un tuberculeux et qui, à partir de ce moment, ont été la proie de la maladie. On a également constaté la transmission des parens aux enfans et réciproquement, entre parens éloignés et même parmi des étrangers rapprochés par les circonstances.

Il faut faire, dans tout cela, la part des coïncidences, des influences identiques provenant d’un même milieu, celle de la communauté d’origine et de l’hérédité, cette transmission d’un ordre spécial aussi incontestable qu’inexpliquée. Tous les médecins la reconnaissent, mais tous ne lui font pas la même part. Les appréciations varient dans des proportions considérables ; elles vont de 11 à 80 pour 100. La statistique la plus récente, celle qui présente le plus de garanties, a été produite par Leudet. En réunissant ses observations à celles de son père, il a pu suivre l’évolution de la phtisie dans 214 familles et, dans 108 cas, il a constaté la provenance héréditaire, ce qui donne la proportion de 50 pour 100.

Tout cela laisse, il faut bien le dire, un grand vague dans l’esprit ; mais c’est bien pis encore quand il s’agit de la fréquence de la contagion et des évaluations auxquelles elle a donné lieu. C’est qu’en réalité, de pareilles questions ne peuvent pas être tranchées par la statistique. Chacun les résout à sa manière et suivant le cours de ses idées. Les vieux médecins, en faisant appel aux souvenirs de leur longue carrière, y retrouvent à peine deux ou trois faits qu’ils croient pouvoir rapporter à la contagion ; mais il est vraisemblable qu’ils ont passé à côté d’un certain nombre d’autres sans les reconnaître. Il est bien difficile de déterminer, avec certitude, le point de départ d’une maladie aussi lente dans son évolution ; le moment où la contamination a lieu peut facilement échapper, et l’on se trouve conduit à mettre sur le compte des causes banales, des cas de tuberculose qu’on aurait rapportés à la contagion, si l’on avait eu l’attention éveillée sur ce point, et si l’on s’était livré à une investigation rétrospective plus sévère.

En revanche, depuis que les doctrines ont changé, on a produit un si grand nombre de faits de transmission, que ce serait à croire que la phtisie a changé de nature, s’il n’était pas évident qu’on met aujourd’hui autant de complaisance à admettre la contagion qu’on mettait autrefois d’obstination à la nier.

Dans certaines statistiques, on évalue le nombre des tuberculoses de cette provenance à la moitié des cas observés. L’exagération est évidente ; mais n’y en eût-il que le dixième, que ce serait encore un fait considérable et rassurant tout à la fois, puisque la transmissibilité est le seul côté par lequel nous ayons prise sur la maladie, et notre seule chance d’enrayer un jour ses progrès.