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fortunées où la température est si douce, le ciel si lumineux, l’atmosphère si pure et si salubre, l’admirable race des Canaques va s’éteignant depuis qu’elle a subi notre contact. La phtisie y marche avec une effrayante rapidité et parcourt ses phases en quelques mois. Il suffit d’un an pour faire disparaître la population de villages entiers. Lorsque la maladie se met dans l’un d’entre eux, on trouve dans toutes les cases, des familles en proie à une toux convulsive, des jeunes filles abandonnées par leurs parens et dans un état d’amaigrissement qui fait peine à voir. C’est alors que l’insouciance de ces populations apparaît dans toute sa naïveté. Les malades connaissent le sort qui les attend ; ils savent qu’ils vont mourir ; mais ils ne font rien pour prolonger leur existence. Étendus sur des nattes, dans un état de nudité presque complète, exposés aux courans d’air et à la fraîcheur des nuits, ils attendent la mort en écoutant les cantiques qu’on chante auprès d’eux.

Cette influence d’une race sur l’autre a été longtemps inexplicable ; nous en connaissons aujourd’hui le secret. C’est là le grand pas qu’a franchi de nos jours l’histoire de la tuberculose et qui a donné à son étude un élan qui se poursuit avec une ardeur sans égale. En voyant la pthisie continuer ses ravages, à travers les siècles, avec une intensité qui ne s’affaiblissait pas, les populations avaient fini par s’habituer à lui payer son tribut, sans espoir de s’y soustraire un jour. Cette résignation apparaît dans les livres de tous les médecins qui nous ont précédés. Les conseils qu’ils donnent sont empreints de cette désespérance que les désillusions répétées laissent après elles. Nous sommes, sous ce rapport, moins à plaindre que nos devanciers. Une espérance commence à poindre. C’est peu de chose encore ; mais ce rayon suffit pour éclairer la route et pour encourager les chercheurs.

C’est aux découvertes scientifiques de la période contemporaine que nous devons cette lumière. Elles nous ont fait connaître la cause et la nature de la tuberculose ; elles nous ont appris qu’elle est transmissible et qu’elle est le produit d’un microbe ; or, nous possédons les moyens de détruire ces organismes élémentaires et s’il est encore téméraire de prétendre à les atteindre au sein de l’organisme dans lequel ils se sont implantés, nous pouvons du moins les détruire quand ils en sont sortis et les empêcher, dans une certaine mesure, de se répandre et de se multiplier.

La contagiosité de la tuberculose n’est pas une idée nouvelle ; ce qui est nouveau, c’est sa démonstration expérimentale et son explication. Les anciens l’avaient pressentie avec ce tact médical qui leur tenait lieu de science. Galien estimait qu’il est dangereux de passer une journée entière dans la compagnie d’un phtisique et Morgagni ne dissimulait pas l’appréhension que lui faisait éprouver