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de soleil, sont des fêtes qu’elle nous donne. Un savant botaniste a soutenu que la fleur est une maladie de la plante. D’un bout du monde à l’autre, toutes les races humaines rendent un culte à cette maladie délicieuse ; c’est, de toutes les religions, la plus universelle. Soit qu’elles nous étonnent par l’intensité de leur éclat, soit qu’elles nous délectent par la musique de leurs couleurs, par la dégradation insensible de leurs teintes, par l’inimitable finesse de leurs nuances, les fleurs nous paraîtront toujours un luxe divin, un merveilleux décor, une joie de la terre. « Fleurir sa maison, disait un Arabe, c’est fleurir son cœur. »

Les étoiles sont les fleurs du ciel, qui, tel qu’il s’offre à nos regards, n’est pas pour nous le ciel ordonné des astronomes. Nous sommes libres d’y voir ce qu’il nous plaît. Les peuples pasteurs de l’Asie croyaient retrouver, dans les splendeurs des nuits, l’image agrandie de leur vie errante ; ils s’obstinaient à chercher des yeux le pâtre invisible qui poussait devant lui son troupeau de mondes à travers les steppes infinis du firmament. Ces nomades, dont les maisons étaient des tentes, adorèrent des dieux vagabonds comme eux, et ils glorifièrent dans leurs pensées la sublime aventure des cieux étoiles. Pour nous, qui ne sommes plus nomades, le ciel est un jardin immense, dont les fleurs, semées à pleines mains, étincellent comme des pierreries. Ces globes lumineux, répandus à profusion dans les profondeurs de l’espace, forment entre eux des assemblages fortuits et chimériques que nous appelons des constellations et qui figurent un grand et un petit chariot, un bouvier, une épée, une lyre, la moitié d’une couronne, la chevelure dénouée d’une reine, un archer qui bande son arc, un scorpion qui fait vibrer son dard, un chasseur sanglé dans son ceinturon, une chèvre escaladant un rocher, un chien vomissant du leu, une poule couvant ses poussins habillés d’or. Tout cela nous apparaît comme une harmonie cachée sous le plus magnifique des désordres, comme le jeu d’une imagination infiniment plus riche que la nôtre, qui s’amuse à étonner, à éblouir notre indigence, et qui, ouvrant à la fois tous ses écrins, en laisse couler au hasard ses diamans, ses rubis et ses perles.

Nous constatons la marche des astres, nous ne la voyons pas. Pour trouver des mouvemens perceptibles à nos sens et qui nous plaisent, il faut redescendre sur la terre. « Dans un être animé, a dit Buffon, la liberté du mouvement fait la belle nature. » Nous avons donné le nom de grâce au plaisir que nous cause tout mouvement si aisé, si libre de toute contrainte, de tout effort et de tout soin qu’il ressemble à un jeu, et la grâce est un succédané de la beauté dont nous faisons tant de cas qu’il nous arrive souvent de le lui préférer. Ici, l’admiration est remplacée par le charme.