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C’est dans la pure contemplation qu’elle est le plus passive et qu’elle jouit de son repos comme du meilleur des biens. Les choses qu’elle préfère sont celles qu’elle transforme le plus aisément en images, et l’estime qu’elle en fait est proportionnée à la facilité de son bonheur. Que le hasard la mette en présence d’un objet qui a tout à la fois du caractère et de l’harmonie, elle s’en forme sans effort une image qui la satisfait, et pour le récompenser de sa complaisance, elle le baptise du nom de beau. Qu’est-ce que la beauté ? Un caractère harmonieux, un tout qui semble jouer avec ses parties, un ensemble qui joue avec ses détails. Elle éprouve alors cet étonnement mêlé de joie qu’on appelle l’admiration, auquel succède une quiétude, une tranquillité mêlée de douceur. « Un homme qui préfère les saints mystères aux voluptés, disait Platon, lorsqu’il aperçoit une figure qui lui semble belle, frémit d’abord et ressent quelque chose qui ressemble à de la crainte ; ensuite, à mesure qu’il la contemple, il la révère comme une divinité, et s’il ne craignait de passer pour un homme en délire, il lui sacrifierait comme à la statue d’un dieu. »

Ce n’est pas que le plus bel objet du monde, pour nous paraître tel, ne demande un travail à notre imagination. D’habitude, nous considérons le beau comme une réalité que nous n’avons que la peine de percevoir ; c’est une grande illusion ; à proprement parler, la beauté n’a rien de réel. La lumière est une force de la nature qui agit sur les plantes, bien que les plantes ne la voient pas ; l’électricité agit sur nos nerfs, mais nos nerfs ne la créent point, et les électromètres servent à déterminer la quantité de fluide électrique dont un corps est chargé. Mais il n’en est pas de même de la beauté ; elle n’existe qu’autant qu’elle apparaît, elle n’est qu’une apparence, elle n’a d’être véritable que dans notre âme, et notre âme n’en jouirait jamais si nos sens, heureusement bornés et obtus, étaient assez fins, assez déliés pour percevoir le détail infini des choses. C’est le mot de Voltaire : « Vous ne voyez pas les cavités, les cordes, les inégalités, les exhalaisons de cette peau blanche que vous idolâtrez… Si Paris avait vu la peau d’Hélène telle qu’elle était, il aurait aperçu un réseau gris jaune, inégal, rude, composé de mailles sans ordre ; jamais il n’aurait été amoureux d’Hélène. » Voltaire ajoute avec son admirable bon sens, toujours plus profond qu’il n’en a l’air : « La nature nous fait une illusion continuelle ; mais c’est qu’elle nous montre les choses, non comme elles sont, mais comme nous devons les sentir. » Si notre œil était un microscope, aucun tableau ne pourrait le charmer ; décuplez la finesse de notre ouïe, et le chant du rossignol nous fera tomber en syncope. Des sensations trop précises ou trop intenses empêcheraient notre imagination de jouer, et pour qu’un