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quelques jours, où il aura ses galas à Windsor, sa réception à la cité de Londres, ses revues, ses banquets. Ce sera complet ! Le jeune empereur a certainement le goût des voyages et de la représentation ; il trouve son plaisir à paraître à Amsterdam et à Londres. On peut cependant augurer que tout n’est pas pour le plaisir dans ces voyages, qu’il doit bien y avoir aussi quelque calcul, quelque arrière-pensée. Assurément, Guillaume II ne va pas dévorer la Hollande au pas de course et l’annexer d’un seul coup à l’empire allemand ; il trouverait de la résistance même en Hollande. Il ne se propose pas non plus vraisemblablement de faire entrer l’Angleterre dans quelque vaste plan de politique européenne ; mais il cherche des amitiés, des rapprochemens, des alliances commerciales, et il se flatte sans doute que les illusions qu’il emporte dans ses voyages deviendront un jour ou l’autre des réalités.

Depuis que le régime des parlemens s’est établi plus ou moins dans la plupart des états de l’Europe, il y a bien des manières de le comprendre et de le pratiquer ; il y a même des manières de ne pas le comprendre du tout. Évidemment le régime parlementaire n’est ni en Allemagne ni en Autriche ce qu’il est en Angleterre. Les assemblées ont sans doute toujours leur importance parce qu’en définitive elles restent une dernière garantie pour les peuples ; elles n’ont pas la même puissance partout ni la même influence sur la politique générale, sur les affaires extérieures pas plus que sur les affaires intérieures. Elles n’ont qu’une action très limitée, à peu près insignifiante sur les ministères qui, à Vienne comme à Berlin, ne dépendent que des souverains et n’ont besoin d’une majorité que pour la forme, pour le décorum constitutionnel. Ce qui s’est passé depuis quelque temps en Autriche, ce qui vient de se passer ces jours derniers encore, est certes un des plus curieux spécimens de vie parlementaire dans ce vieil empire dévoré de luttes intestines entre des traditions disparates, des élémens multiples, des nationalités divergentes et le plus souvent ennemies.

Voilà douze ans déjà que le comte Taaffe est à Vienne le premier ministre de l’empereur François-Joseph, le chef habile et heureux du gouvernement dans cette partie de l’empire qu’on appelle la Cisleithanie. Il a passé ces douze années à n’avoir guère pour toute politique que l’art des subterfuges et des évolutions intéressées, affectant de n’être dans ses actes et dans ses discours ni Allemand, ni Slave, ni centraliste, ni fédéraliste, ni conservateur, ni libéral, s’étudiant à concilier Polonais, Allemands, Tchèques, Slovènes, pour tirer de cet amalgame des majorités artificielles et variables. Tout ce qu’on peut dire, c’est que dans cette première partie de sa carrière, sans avoir jamais une politique bien tranchée, il a paru toujours préférer à l’alliance des libéraux du centralisme allemand, l’appui des nationalistes modérés,