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qu’exigerait la dimension des toiles, on aurait, sous les yeux, de très belles peintures ; mais, à vrai dire, tout cela reste en chemin, et nous n’avons que des indications et des à-peu-près.

En général, pourtant, c’est par les harmonies délicates et douces, par les nuances infinies des tons rompus, qu’à la suite de Corot, Millet, Puvis de Chavannes, sont séduits les nouveaux paysagistes. On pourrait citer, parmi leurs modèles, M. Boudin, ce mariniste si distingué dont les dix toiles prouvent la persistante fécondité, mais M. Boudin, dont la touche est souvent très ferme, et qui est tout à fait dans la tradition classique ne dédaigne pas, à l’occasion, les rehauts vifs et les accens éclatans. C’est dans un esprit semblable que M. Iwill, dont les progrès sont remarquables, agrémente de notes gaies ses paysages crépusculaires et brumeux, dans son Matin sur la dune et surtout dans ses pastels dont quelques-uns, tels que Saint-Vaast-la-Hougue et Soir d’avril, sont tout à fait réussis. La sourdine est plus marquée chez MM. Cazin, Billotte, Victor Binet, Costeau et tout un groupe d’observateurs très délicats, peut-être un peu efféminés, mais charmans et fins, qui cherchent dans une voie plus nouvelle. On connaît la manière de M. Cazin ; ce qui le séduit dans la nature, ce sont les harmonies un peu jaunâtres, telles qu’on en voit se produire dans les pays du Nord, aux approches du crépuscule ou d’un orage ; aussi aime-t-il les terrains sablonneux, les grandes routes, les bords de fleuves. Dans l’une de ses meilleures toiles, la Route en Flandre, une route, venant de face, entre deux files d’arbres maigres et longs, aux cimes feuillues, avec une maison couverte de briques dans le fond, il a repris exactement le thème qu’Hobbema a si admirablement traité à la National-Gallery. Si le peintre ancien est plus précis, plus net, plus énergique, il y a beaucoup de charme aussi, un charme alanguissant et doux, dans les colorations, vagues et tièdes, du rêveur moderne. Sa Digue en Hollande, une très fine toile, appelle aussi la comparaison avec d’anciens maîtres du pays, et la personnalité délicate de M. Cazin s’établit par cette comparaison. Ce sont là, en réalité, de bons tableaux. Les études de M. Billotte sur la banlieue de Paris ont un aspect plus fragmentaire ; ce sont des coins abandonnés dont un vrai poète est seul capable de comprendre et d’expliquer la poésie étrange ; M. Billotte, qui manie les tons tristes avec un sentiment d’harmonie tout à fait rare, sait donner à ces routes banales, à ces carrefours suspects, à ces carrières lugubres, un intérêt extraordinaire. La délicatesse consciencieuse avec laquelle sont poussés de petits morceaux tels que le Lever de lune à la Garenne Bezons et le Chemin de la folie leur donne un prix extrême. Un nouveau-venu, M. Costeau, réussit