Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/196

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sa suite d’études, d’après des paysans et paysannes de Belgique, qu’on avait remarquées à l’Exposition universelle pour leur naïveté pénétrante, n’annonçait pas néanmoins un artiste de cet ordre. Peut-être le Ruisseau dans lequel patauge et gambade une ribambelle d’enfans nus, aussi joueurs et aussi nombreux que les enfans de Titien dans le tableau de la Fécondité à Madrid, étonnera-t-il bien des yeux par les maladresses d’une peinture hésitante et un peu sale, mais la composition en est pleine et vivante, et presque tous les gamins et gamines, petits plébéiens de Belgique, enfans d’ouvriers et mineurs, non pas fils de Vénus, comme les Amorini vénitiens, sont d’une individualité extraordinaire. On aura moins de peine à comprendre les onze dessins qui racontent, en traits vivans, naïfs et grandioses, le poème du Lin et les onze dessins qui, avec le même bonheur, racontent le poème du Blé. Ces scènes champêtres, qui accumulent souvent, à la façon des vieilles gravures, beaucoup de figures dans un petit espace, renouvellent, par la sincérité puissante de l’observation et la fermeté virile du dessin, toutes sortes de sujets qu’on pouvait croire épuisés depuis que Millet, Jules Breton et tous les auteurs de paysanneries modernes y avaient passé. M. Frédéric, en s’inspirant des miniatures rustiques, si admirables, du moyen âge flamand, de Lucas de Leyde et de Breughel le Vieux, de Le Nain et de Sieberecht, dont on peut surprendre quelque influence dans ses procédés, a trouvé, sur leurs indications, dans la vie des champs, une source nouvelle de poésie saine, abondante et forte. Nous avons déjà remarqué souvent combien, depuis quelques années, certains étrangers, notamment des Flamands, apportent dans la représentation des mœurs populaires une émotion sévère et continue qui se fait jour à travers les lourdeurs d’une pratique lourde, inégale ou inexpérimentée. La même observation peut être faite, cette année, non-seulement à propos de M. Léon Frédéric, mais aussi à propos de M. Verstraëte, de sa Veillée d’un mort en Campine ; ce sont des impressions graves et justes, exprimées avec une sincérité un peu lourde, mais bien pénétrante.

Les étrangers marchent aussi fort audacieusement en tête de ces naturalistes décidés qui pensent rajeunir l’iconographie chrétienne par la seule application du costume moderne aux personnages de la Bible et de l’Évangile. Ils ont pour eux leurs ancêtres, tels que Lucas de Leyde et Rembrandt, qui n’en ont pas fait d’autre, sans plus de naïveté peut-être, et ils viennent de trouver cette année une recrue inattendue dans M. Béraud, le peintre légèrement gouailleur des mondanités et des corruptions parisiennes. Le tableau de M. Béraud, la Madeleine chez le Pharisien (il faut lire chez le Parisien), est le plus grand succès du Champ de Mars ;