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la « commercialisation » du billet. Cela signifie tout simplement que l’agriculteur souscrivant un billet serait placé au point de vue des responsabilités et de la juridiction en cas de non-paiement sur le même pied que le commerçant. N’y a-t-il pas plus d’apparence que de réalité dans la crainte qu’on en conçoit, et, sous l’impression de ce mot de faillite qui épouvante, s’est-on assez demandé si la position actuelle du cultivateur en cas de non-paiement n’est pas pire que dans la supposition où il passerait de la juridiction civile où il est aujourd’hui placé dans celle du code de commerce ? On en a fait la remarque avant nous : sous le régime de la juridiction civile, qui laisse, il est vrai, plus d’atermoiemens, le jugement n’est rendu en revanche qu’après une procédure longue et coûteuse, et si le cultivateur ne peut pas payer, la poursuite dont il est l’objet aboutit à une saisie et à une vente à la criée qui consomme sa ruine. La même juridiction entraîne ce qu’on appelle la « déconfiture, » et il n’est pas difficile d’établir que la faillite qu’entraîne la juridiction commerciale est en définitive plus douce, parce qu’elle met moins d’obstacles aux arrangemens et aboutit le plus souvent à un concordat ; la loi du 4 mars 1889 permet même d’y substituer la liquidation judiciaire pour le débiteur de bonne foi. L’agriculteur aurait donc plus de moyens de se relever qu’il n’en a sous le régime auquel il est soumis actuellement. Quant aux atermoiemens, croit-on que la nécessité d’une exactitude plus rigoureuse n’ait pas aussi ses bons côtés en lui inspirant ce qu’on a nommé le sentiment de l’échéance ? Quand on se servait des coches et des autres petites voitures qui attendaient les voyageurs, personne n’arrivait à l’heure ; tout le monde est exact depuis les chemins de fer.

Devra-t-on conclure pourtant que le refus de commercialiser le billet du cultivateur, en limitant à l’excès les facilités du crédit, lui en ferme absolument toutes les issues ? En s’opposant à cette assimilation du cultivateur au commerçant, on a allégué que l’article 637 du code de commerce admet la juridiction consulaire pour les billets à ordre qui portent à la fois la signature de négociais et de non négocians. C’est également dans ces termes que s’est tenu le congrès international, ainsi que la Société des agriculteurs de France. Leurs votes ne tendent à assimiler l’agriculteur au commerçant que dans les cas déterminés où lui-même consent en quelque sorte à être traité comme tel en bénéficiant des mêmes avantages, mais en encourant les mêmes responsabilités. C’est un système incomplet, mais on a pu croire qu’on ménageait mieux ainsi certains scrupules de l’opinion prompte à s’alarmer.

En définitive, on peut dire que le travail législatif n’a abouti à