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donner beau jeu à ceux qui ne voulaient entendre à aucune réforme et qui, disposés à trouver bien tout ce qui existait, même le régime hypothécaire, écartaient avec dédain toutes ces nouveautés et échappaient à la nécessité des solutions, comme leurs successeurs continuent à le faire, en niant les questions mêmes.

Nous n’aurons garde d’énumérer tous les projets échafaudés à la même époque sur le papier-monnaie, jeté en pâture, par de pâles imitateurs de Law et des mandats territoriaux de 1796, à l’agriculture souffrant du manque des capitaux, que l’impôt des 45 centimes avait achevé de mettre en déroute. Qu’il nous suffise de rappeler qu’un de ces projets présentés à l’assemblée constituante de 1848 n’allait pas à moins qu’à créer immédiatement 2 milliards de billets hypothécaires ayant cours forcé, à répartir entre tous les départemens, tellement que M. Mathieu de la Drôme put paraître modéré en se bornant à proposer plus tard une émission de 400 millions de billets ayant cours forcé et qui auraient le nom de « billets de la république. » C’était ensuite le tour d’un ministre de l’agriculture non moins généreux, M. Tourret, de demander aussi des millions à titre de prêt fait aux agriculteurs. Voilà ce qu’on appelait le crédit agricole en ce temps où le désir sincère du bien public et un amour ardent de l’agriculture soudainement allume dans tous les cœurs se donnaient carrière dans toutes sortes de projets. Malheureusement, il est moins facile d’enrichir l’agriculture que de lui rendre hommage en faisant figurer dans des programmes de fêtes des bœufs à cornes dorées. Rendons justice aux assemblées de ce temps-là ; bien qu’inexpérimentées et cédant trop facilement à d’honnêtes illusions, elles eurent le bon sens de repousser ces propositions. C’est, nous n’hésitons pas à le dire, ce qui continue à nous rassurer. Le vent du socialisme d’état a beau souffler : nous sommes convaincu que l’idée d’une banque agricole gouvernementale réunirait à peine une poignée de partisans. Quant au vrai socialisme, il a élevé plus haut ses visées. Il ne demande pas moins que la nationalisation du sol. Nous pouvons le dire avec satisfaction : il n’est pas aujourd’hui une seule formule de crédit agricole qui ne suppose au moins le sentiment de la profonde incompatibilité de toute institution de ce genre avec les besoins de l’agriculture. On ne méconnaît plus le péril qu’il y aurait à engager une banque centrale dans les risques d’entreprises dont elle n’aurait que très imparfaitement les moyens d’apprécier les chances de succès. S’il y a une venté acceptée, une sorte d’axiome placé au-dessus de toutes les controverses, c’est que le crédit agricole doit être avant tout local et personnel ; la mutualité ne lui ôte pas ce dernier caractère, loin de là : point de crédit mutuel sans