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l’auteur d’un livre instructif sur le Crédit agricole en Allemagne, M. E. Le Barbier, ingénieur et agronome : « L’agriculteur est un industriel qui, à l’aide d’élémens chimiques qu’il exploite, et de machines, les unes animées, les autres inanimées, fabrique du blé, de la viande, des fruits, des légumes, etc. Pourquoi refuser à celui qui vend les bœufs les avantages que vous concédez, sans discuter, à celui qui vend la viande ? Pourquoi retirer à celui qui vend le blé des droits que vous reconnaissez à celui qui vend le pain ? Pourquoi celui qui élève des moutons, fabrique la laine, ne serait-il pas l’égal de celui qui la transforme en vêtemens et de celui qui vend ces vêtemens ? Et pourtant il ne l’est pas, car on lui refuse l’aide dont toutes les affaires se servent journellement ; on ne lui reconnaît même pas le droit d’y avoir recours. » Nous ne disons pas autre chose.

Mais voici une assertion qui ne nous paraît pas moins hardie que celle qui affirme l’inutilité du crédit dans l’agriculture. On nous dit que le crédit agricole existe et que par conséquent nous n’avons rien à demander. Le crédit agricole existe : quelle étonnante nouvelle ! Hâtons-nous donc de contempler ses œuvres que nos yeux n’avaient pas su découvrir. On verra qu’elles se réduisent à quelques rudimens, et pourvu qu’on ne nous donne pas pour une chose achevée ce qui n’est qu’un commencement, un symptôme heureux, nous ne demandons pas mieux de tenir compte des exemples qu’on en cite ; ils prouvent que le crédit a su faire parfois sa trouée à travers les obstacles législatifs et réussi à se créer quelques organes à l’état d’ébauche. On met en avant le papier agricole souscrit par les engraisseurs de bétail de la Nièvre, et accepté par la Banque de France. Le fait, qui remonte à 1865, est d’autant plus digne de remarque que l’initiative a été prise par un directeur de la succursale de la Banque de France à Nevers, qui, frappé du mouvement d’argent provoqué par l’engraissement du bétail et de l’exactitude des cultivateurs nivernais à tenir leurs engagemens, songea à s’en faire une clientèle. Ces cultivateurs étaient déjà en relation avec des banques locales, mais à des conditions onéreuses pour eux et gênantes pour ces banques elles-mêmes, contraintes par la nécessité de ce genre de commerce à recevoir en masse les dépôts d’argent au commencement de l’automne, et à les restituer à la fois aux premiers jours du printemps. Gros embarras pour des établissemens peu considérables, mais qui cessait d’en être un pour la Banque de France. Les comptes-rendus portent qu’il fut ainsi possible, en dix ou onze ans, à partir de 1867, de fournir de 130 à 140 millions à l’agriculture de la Nièvre, avec un profit pour elle évalué à environ 25 millions, cela sans un seul protêt, sans un seul retard de vingt-quatre heures ! Cet exemple