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contre le producteur isolé, extorsions des intermédiaires, oppression des compagnies de chemins de fer, taux usuraire des prêts, extension du fléau de l’hypothèque, comment le cultivateur américain pourrait-il résister à tant de causes de ruine ?

D’après le rapport du bureau d’agriculture à Washington pour le mois de mars 1890, il restait encore, en stock non vendu à cette date, 46 pour 100 de la précédente récolte de maïs, soit 349 millions d’hectolitres, et 31 pour 100 de la récolte de blé, soit 56 millions d’hectolitres. Les récoltes avaient été excellentes ; celle du maïs la plus considérable qui eût jamais été vue. Mais la baisse des prix empêchait les cultivateurs de profiter de cette abondance. Dans le Missouri, le maïs se vendait 16 à 20 cents le bushel de 36 litres, le blé 55 à 60, près des lignes de chemins de fer ; à quelque distance de la voie ferrée, les prix déclinaient. Si l’on considère les cours cotés à la même date à Chicago, 28 cents le maïs et 77 le blé, la partie non vendue de la récolte représentait une somme de 2 milliards de francs, ou de 1,500 millions, si l’on déduit du stock le montant nécessaire pour les semailles et pour la nourriture des fermiers et de leurs familles[1].

Les fermiers, ainsi disposés, étaient une proie facile aux politiciens, toujours en quête d’élémens nouveaux pour organisations politiques. Sous la direction de quelques chefs habiles, ils ont commencé à se grouper en associations rurales, ce qui était une nouveauté en Amérique. Depuis dix années, le mouvement, inauguré dans l’ouest, le sud-ouest et l’est, dans le Texas, la Louisiane, l’Arkansas et le Kansas, s’est répandu de proche en proche dans presque tous les États. À la fin de 1889, du 3 au 7 décembre, l’Alliance, formée de la fusion de plusieurs associations de cultivateurs, a tenu son assemblée générale à Saint-Louis, et c’est là qu’elle a adopté le nom compliqué que nous avons déjà indiqué plus haut. On l’appelle, par abréviation, l’Alliance, comme on appelle la Grange une autre association de fermiers, — plus ancienne, mais très forte également, et comptant des centaines de milliers d’adhérens, — qui venait de tenir, quelque temps auparavant, son assemblée générale à Sacramento (Californie).

À Saint-Louis, l’Alliance vota le programme suivant : abolition des banques nationales ; augmentation de la circulation du papier-monnaie ; frappe libre et illimitée de l’argent ; interdiction aux

  1. Chargés de dettes hypothécaires à gros intérêts et ne trouvant plus à vendre leurs grains avec bénéfice, les fermiers s’en prennent à tout le monde de leurs déceptions et veulent notamment obliger les compagnies de chemins de fer à réduire leurs conditions de transports. Dans plusieurs États déjà, des tribunaux locaux ont approuvé les réductions de tarifs imposées arbitrairement par les commissions des chemins de fer ; mais ces décisions ont été, on général, annulées par la cour suprême fédérale.