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qu’ils étaient illégalement composés. Aussitôt, ont éclaté les interpellations, les réclamations, ou plutôt les déclamations amères contre l’iniquité des juges. On n’a pas même vu qu’on tombait dans la plus étrange confusion de pouvoirs, qu’on proposait à la chambre d’usurper le droit de la magistrature. Vainement le gouvernement, représenté par M. le ministre de la justice, a essayé de défendre l’autorité des lois, l’indépendance des juridictions ; il aurait peut-être été vaincu. Il a été obligé de se résigner, et pour prévenir un excès d’omnipotence révolutionnaire, il n’a eu d’autre ressource que de promettre au plus vite de présenter une loi nouvelle. On ne lui a même pas laissé quelques jours de réflexion : c’est sur-le-champ, au moins dès le lendemain, qu’il a dû proposer la loi. Il s’est exécuté !

Subir à peu près toutes les conditions, livrer l’un après l’autre les droits du pouvoir, suivre d’un pas irrésolu ceux qu’on est censé conduire, c’est ce qu’on appelle rester d’accord avec la majorité. — C’est l’idéal, disent les radicaux triomphans ; un gouvernement ne doit avoir d’autre opinion que celle qu’on lui impose. Un radical, homme d’esprit et de fantaisie, a même comparé un ministère à une « cuisinière » qui ne doit servir à son maître que les plats de son goût. À la bonne heure ! voilà qui est relever le gouvernement de la république devant les populations françaises ! En réalité, pour parler sérieusement, c’est la défaillance érigée en système, l’abdication permanente devant toutes les exigences et les prétentions des partis.

Est-ce donc que cette majorité dont on ménage les faiblesses, qu’on ose à peine contredire, justifie ses prétentions par la netteté des vues, par une certaine aptitude aux affaires, par son esprit politique enfin et par sa consistance ? Mais bien au contraire : elle n’existe même peut-être pas ou elle n’existe que dans des votes de parti, par une série de compromis et de concessions, par cette confusion incessante où les plus modérés suivent les plus violens. Le plus souvent elle ne sait pas ce qu’elle veut, ni où elle va, elle ne cesse de s’égarer dans ses interpellations, ses motions et ses ordres du jour. Au fond, si l’on veut, cette chambre n’est ni malintentionnée ni plus mal composée que bien d’autres assemblées. Elle n’est point, on le sent, d’un tempérament violent, et M. le ministre de l’intérieur est toujours sûr d’avoir un succès auprès d’elle quand il défend ses agens de police ; elle compte de sérieux talens, des hommes instruits, des orateurs habiles. Son malheur est d’avoir dans son ensemble plus de préjugés et de passions que d’idées, de vouloir tout conduire quand elle aurait elle-même besoin d’être conduite, d’être inexpérimentée et de tout entreprendre à la fois sans rien résoudre, de préférer aux affaires sérieuses les agitations de séance, les diversions.

Assurément, le budget est ou devrait être pour elle une affaire im-