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d’une ferme, la Massaria di Sansone, indiquée sur le plan de M. Normand, ce voyage était périlleux, coûteux, difficile. Aujourd’hui, le chemin de fer de Tarente passe à quelques centaines de mètres. Dans son dernier et beau livre, la Grande-Grèce, François Lenormant avait décrit le paysage de Métaponte (avec tant d’émotion et de si vives couleurs que des artistes devaient vite s’y sentir attirés. Le temple dorique, que M. Charles Normand a tenté de restituer, se trouve à une assez grande distance des lieux explorés par le duc de Luynes, à la Tacola dei Paladini. Quinze colonnes encore debout, quelques substructions, des mosaïques conservées au Cabinet des médailles, d’autres fragmens retrouvés dans des fouilles récentes, ont suffi à l’architecte pour reconstituer ce petit édifice dont les traits caractéristiques semblent être l’étroitesse du sanctuaire et la largeur du péristyle ouvert qui l’entoure. C’est de ce péristyle, à l’abri des ardeurs du midi ou des humidités du soir, que les Métapontins, disciples de Pythagore, pouvaient contempler, en rêvant ou discutant, le panorama magnifique qui explique encore la construction de l’édifice sur ce plateau rocheux : — « Ce panorama, dit Lenormant, a toute la grandeur désolée, toute l’imposante majesté de la campagne de Rome. On domine de là le cours tortueux du Bradano et l’ensemble de la plaine vide d’habitans. Par-delà Bernalda, le regard plonge jusqu’au fond des gorges de la Basilicate, qui semblent faites pour servir de retraites à un peuple de brigands, tels qu’étaient les Lucaniens. Et quand on se retourne du côté opposé à celui du cirque gigantesque que dominent les montagnes, la vue se repose à loisir sur l’étendue de la mer. Nul endroit ne pouvait être mieux choisi pour y élever un de ces édifices aux lignes d’une pureté idéale dont les Grecs avaient le secret. » — Ce n’était pas seulement, nous le savons aujourd’hui, par la netteté, la délicatesse, la souplesse, l’harmonie de leurs lignes que les édifices grecs enchantaient les yeux, c’était encore par la richesse des couleurs dont ils étaient revêtus. La polychromie était en usage sous le ciel brillant de la Grande-Grèce comme sous le ciel brûlant de l’Indo-Chine. A Métaponte, comme plus tard à Angkor, c’est par des fonds de pourpre ou d’azur, c’est par des rehauts d’or que s’avivent les sculptures, entrelacs, animaux chimériques ou figures. Dans quelle mesure la restitution peinte du fronton, des métopes, de l’idole, des tapisseries, des parois du temple de Métaponte est-elle conforme aux données de l’archéologie? C’est ce que les érudits spéciaux peuvent décider. En tout cas, il y a, pour le public, un spectacle attrayant, facile à saisir, qui s’adresse vite à son imagination et le dispose à comprendre et à étudier davantage. Si, devant les châssis de M. Charles Normand, on trouvait, sur une