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au musée du Trocadéro, sur les moulages ou les fragmens originaux, qu’il faut admirer en détail les ressources de cet art souple, délicat et charmant, non-seulement dans ses variations ornementales, mais aussi dans les représentations figurées. Ici nous avons l’effet d’ensemble et cet effet est merveilleux.

D’où vient cet art étrange, cet art d’une civilisation singulièrement puissante et raffinée et qui a disparu cependant sans laisser aucune trace historique? Les monumens d’Angkor semblent avoir été construits du VIIIe au XIIIe siècle de notre ère. D’où venaient les grands architectes et les grands sculpteurs qui y mirent la main? Par suite de quelle filiation mystérieuse trouvons-nous mêlés aux élémens hindous tant d’élémens helléniques? Ce qui trappe, au premier coup, dans ce temple de Baïon, c’est la régularité extraordinaire, la régularité scolaire et classique, d’un plan très net dans ses complications et une symétrie presque inexorable ; c’est ensuite la méthode avec laquelle sont échelonnés dans le ciel tous ces cônes gigantesques, l’ordre infini et attentif qui règne dans la disposition du décor dont ils sont chargés et dans lequel l’œil ne perçoit d’abord qu’une accumulation inextricable de broderies. Jamais on ne vit plus de caprices dans l’ornement, mais jamais non plus autant de discipline dans les caprices. Le rythme grec se fait bien sentir dans les proportions des chapiteaux et des fûts, dans la division ternaire des entablemens, dans certaines moulures et certains ornemens courans, mais quelles variations inattendues et luxuriantes autour de cette mélodie trop courte et trop sèche pour l’imagination asiatique! On comprend la séduction que doivent exercer, sur place, dorés par le soleil, mêlés à la végétation prodigieuse et impitoyable qui, depuis plusieurs siècles, les enlace et les désagrège, les vestiges imposans et nombreux encore de ces monumens mystérieux; on s’explique que M. Delaporte les ait fréquentés avec passion jusqu’à ce que la maladie l’en chassât; on est heureux de savoir que M. Fournereau les étudie de nouveau, et qu’il arrachera encore quelques secrets à cet art magnifique d’un grand peuple évanoui sans laisser d’autres traces de sa grandeur.

Au sortir de cet éblouissement colossal, revenir vers l’art grec du Ve siècle, c’est changer trop brusquement d’atmosphère pour n’en être pas surpris. Le Temple de Mitaponte, restitué par M. Charles Normand, semble, à l’abord, un peu petit, d’un style si net et si raisonnable qu’on est tout près de le trouver pauvre. Mais, si l’on s’y arrête, combien cette clarté logique, cette belle combinaison des formes, cette répartition mesurée du décor, gagnent sûrement l’esprit reposé et calmé! Lorsque le duc de Luynes et M. Debacq firent leurs fouilles à Métaponte en 1828 sur l’emplacement