Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/929

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avant le péché et, plus qu’il ne l’avait fait déjà dans son premier marbre, le sculpteur, en haine des banalités, s’est efforcé de renouveler cette figure, non-seulement par l’expression, mais surtout par la disposition. L’Eve avant le péché assise sur le sol, appuyant, par un mouvement câlin, sa tête souriante sur son genou gauche relevé, la main droite pendante et touchant un de ses pieds, dans l’autre main tenant la pomme, offrait, au point de vue sculptural, par son attitude ramassée et tassée, une série de difficultés que ce praticien expert semble avoir accumulées à plaisir. On croirait d’une gageure dans un atelier, d’un défi accepté de faire entrer une figure dans les huit points d’un dé ou les quatre faces d’un cube. Il reste, au premier abord, quelque chose d’un peu surprenant et d’un peu pénible dans cette attitude, mais il faut reconnaître que le sculpteur a exécuté ce tour de force avec une science et une grâce extraordinaires. Le laisser-aller apparent des gestes et la lente apparition du sourire dans la pénombre sont combinés, pour une séduction prochaine et irrésistible, avec une élégance et une finesse très modernes. La souplesse musculaire, la délicatesse épidermique sont, d’un bout à l’autre de ce marbre délicat, exprimées sans affectation ; c’est encore une de ces belles pièces qui, même brisées et dépecées dans les siècles futurs, y rediraient encore, par leurs fragmens, l’habileté des sculpteurs français, comme le moindre tronçon de statues grecques exhale ce grand amour de la beauté qui les animait et les ennoblissait tout entières.

Parler de la beauté, c’est penser à M. Falguière et aux hymnes éclatans qu’il ne cesse de chanter en son honneur. Aujourd’hui encore, à l’entrée du Salon, c’est une de ses Dianes qui nous salue. Cette fois, disons-le tout de suite, c’est une Diane digne de son titre, non plus seulement par la souplesse et la vivacité de son beau corps, mais encore par la fierté pure de son attitude et de son expression. Décidément, nous avions raison de le croire, la première Diane, cette tireuse d’arc si alerte et si décidée, cette jolie gaillarde aux formes rebondies, mais à l’air si plébéien, n’était qu’une suivante de la pudique chasseresse. Pour la rencontrer, M. Falguière n’avait eu qu’à chercher dans la banlieue d’Athènes ; c’est dans Athènes même qu’il a trouvé aujourd’hui la déesse. Toute nue, grande, svelte, posée sur la jambe gauche, le pied droit légèrement relevé en arrière, elle vient de tirer sur quelque oiseau, car la tête dressée, les yeux au loin, elle tient encore en l’air, d’une main en avant, son arc détendu et ramène l’autre main, qui vient de lâcher la corde, un peu en arrière, à la hauteur de l’oreille. Ce mouvement en hauteur donne à toute la figure un élan qu’accentue