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personne n’a pu trouver une explication plausible de la conduite de M. Balmaceda et que la plupart inclinent à croire que M. Balmaceda n’a obéi, d’abord, qu’au désir de faire prévaloir ses vues et de conserver une partie de son influence après l’expiration de ses pouvoirs, et que, plus tard, il s’est laissé emporter par son exorbitant amour-propre, gravement froissé dans une lutte politique trop ardente et dans laquelle le président, oubliant qu’il était chef, est souvent descendu au rang de soldat et a combattu comme tel. Cependant, il faut reconnaître que la longue persistance de M. Balmaceda dans sa politique de discorde et la terrible gravité de la situation provoquée par lui ne sont pas en rapport avec les motifs que nous venons d’indiquer, et qu’il n’est pas impossible qu’il ait visé à conserver le pouvoir après la période quinquennale.

Désormais, si M. Balmaceda ne joue pas sa vie, il risque tout au moins un avenir plus ou moins triste. C’est aussi la principale cause qui le fera rester encore sourd à la voix du patriotisme tant qu’il aura un espoir de triompher. En dehors de l’armée, que la crainte et l’esprit d’obéissance et de discipline maintiennent à ses côtés, M. Balmaceda n’a que très peu d’amis, ceux-ci, d’ailleurs, de beaucoup inférieurs à lui, et dont les meilleurs se laissent emporter par une reconnaissance mal comprise ou par le désir de conserver ou d’acquérir une notoriété qu’ils n’auraient pas atteinte dans des circonstances meilleures. Le reste forme la suite obligée de toute espèce de pouvoir et ne mérite pas qu’on en parle.

Au contraire, le but de ceux qui font la révolution, le but du parlement et de ses partisans, est parfaitement défini : ils ont voulu, d’abord, avoir raison d’une dictature qui a rompu avec cinquante-sept ans de bonnes traditions parlementaires; ils ont voulu ensuite, et avant tout, sauver le pays des dangers d’une dictature établie avec un caractère permanent. Il n’était que trop évident, en effet, que, sans la révolution, M. Balmaceda aurait su se faire un parlement à lui, sous lequel le pays aurait été définitivement asservi. Aujourd’hui, ces motifs se trouvent malheureusement bien renforcés, et le dévoûment des parlementaires à leur cause doit grandir, car le danger est maintenant doublement grave.

En effet, il y a quelque temps. M. Balmaceda et ses amis proclamèrent M. Claudio Vicuña candidat aux élections présidentielles du 1er juin, candidat qui, si M. Balmaceda n’est pas chassé auparavant, aurait la charge de continuer la lutte après le 18 septembre, date d’expiration des pouvoirs du président actuel. Mais d’un autre côté, le 29 mars, sur la convocation faite par un décret qui abroge la loi d’élection, une assemblée constituante vient d’être élue, si