Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ordinairement, il ménage par des artifices plus ou moins ingénieux, mais très prisés par les connaisseurs hindous, une transition assez laborieuse avec le commencement de la pièce proprement dite.

Dans le Chariot de terre cuite, par exemple, le régisseur sort pour inviter quelque brahmane à venir prendre chez lui la direction d’une cérémonie religieuse que prépare sa femme. Il rencontre le brahmane Maitreya qui est dans la pièce le compagnon du héros Tchâroudatta. C’est à lui qu’il adresse sa requête. Elle est repoussée. Tandis que le régisseur va chercher ailleurs, Maitreya, présenté ainsi au public, demeure en scène.

Par une singularité plus rare, les ouvrages sont conçus en un mélange de plusieurs langues et en un mélange de prose et de vers. Il faut se souvenir que la langue classique, le sanscrit, est un idiome savant. Il paraît être sorti d’un compromis entre une langue religieuse traditionnelle et le parler vivant, compromis réalisé dans les écoles sous l’empire de circonstances qu’il n’entre point dans notre sujet de reconstituer. Son rôle est comparable à celui du latin au moyen âge. Au-dessous de ce niveau en une certaine mesure arbitraire, l’idiome natif subissait les destinées naturelles au langage ; il s’altérait en vertu des lois ordinaires, se fractionnait suivant la diversité des circonstances locales : les prâcrits se parlaient dans le peuple, tandis que les savans réglementaient et écrivaient le sanscrit. L’exemple donné par le sanscrit réagit sur eux. Sous l’influence de causes multiples, plusieurs furent à leur tour immobilisés dans un moule savant. Ainsi se forma de la même langue, saisie à des étapes diverses de son évolution, une échelle d’idiomes littéraires, tous artificiels à quelque degré, quoique tous fondés en partie sur l’usage réel, tous affectés, quoique dans une mesure fort inégale, à des applications savantes. À côté de la littérature classique, rédigée en sanscrit, il y eut une littérature sacrée des bouddhistes, rédigée en pâli, des Jaïnas, une autre secte religieuse, en mâgadhî, une littérature poétique conçue en mahârâshtrî, des contes en païçâtchî.

Les œuvres dramatiques présentent comme une synthèse de ces divers dialectes ; ils y figurent rapprochés dans les mêmes ouvrages, quoique, par le degré d’altération auquel correspond chacun d’eux, peut-être aussi par l’époque où ils furent individuellement fixés, ils soient séparés les uns des autres par de longs espaces de temps. On conçoit comment il se put établir entre eux, suivant certaines conditions, soit de déformation, soit d’origine, une sorte de hiérarchie ; c’est elle qui en régla l’usage au théâtre. Les compositions dramatiques offrent ainsi par un curieux phénomène une marqueterie de langages uniformes par leur origine première, variés par leur physionomie phonétique ; ils ne sont pas isolés dans des