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et son favori jugèrent le moment arrivé de compter leurs amis et de mettre en mouvement les puissans ressorts de la machine gouvernementale. Profitant de la prorogation des chambres, M. Balmaceda renvoyait le ministère qui, quelques jours auparavant, avait l’appui presque unanime des chambres, et en janvier 1890 en nommait un autre, composé de ses amis personnels et manifestement contraire à l’opinion de la majorité parlementaire.

Pendant plusieurs mois ce ministère gouverna, et sa tâche principale fut de se procurer une majorité à la chambre des députés, ou tout au moins au sénat, en vue des sessions ordinaires du mois de juin 1890. Le président et ses ministres n’y arrivèrent pas, et ceux-ci, n’étant pas disposés à encourir un vote de censure du parlement, se retirèrent à la fin du mois de mai 1890. Mais M. Balmaceda ne tarda pas à les remplacer par six autres de ses amis, qui, bien plus dévoués que leurs prédécesseurs, ne devaient reculer devant aucun obstacle. En effet, ils eurent le courage de se présenter aux deux chambres et de déclarer hautement qu’ils ne s’attendaient pas à avoir l’appui de la majorité parlementaire, mais que, néanmoins, ils étaient résolus à conserver le pouvoir tant qu’ils auraient la confiance du président de la république. Les deux chambres, dans l’intervalle de deux ou trois jours, ripostèrent, par une majorité des trois quarts, en faisant usage pour la première fois, dans une longue vie parlementaire, de leur droit de censure ou de blâme contre le ministère. Le ministère, pourtant, n’en resta pas moins en fonction, et, désertant la salle des séances, il crut pouvoir continuer tranquillement sa besogne administrative et ses efforts en faveur de M. Sanfuentes.

Trois mois se passèrent ainsi, pendant lesquels les chambres discutèrent deux projets de lois organiques d’une grande importance ; l’un sur les élections, l’autre sur l’organisation communale.

Le mois de juillet approchait, et avec lui la date où expirait le budget des recettes de l’année précédente. Une nouvelle loi était indispensable au gouvernement pour continuer à recouvrer les impôts, une disposition constitutionnelle le prescrivant formellement. C’était aussi le moment attendu par les chambres pour faire valoir positivement leur autorité. En effet, par une majorité de plus des trois quarts, les chambres suspendaient l’autorisation de recouvrer les impôts jusqu’au moment où serait constitué un ministère qui aurait l’appui de la majorité des deux chambres. Le ministère, convaincu que les chambres reculeraient devant les conséquences fâcheuses qu’une telle situation infligeait au pays en se prolongeant, essaya de se maintenir quand même au pouvoir. Les citoyens ayant le droit incontestable de refuser le paiement de l’impôt, le gouvernement n’osa pas le recouvrer, et le Chili resta