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de la législation est de ne laisser aux mains de personne les moyens de la hâter. Grâce pour l’enfant et pitié pour ceux que ni l’éducation, ni le bien-être, ni l’idée morale ne protègent contre les embûches dressées sous leurs pas !

Ainsi s’exprime le sentiment public, ainsi parle la voix charitable qui est au fond de l’âme du peuple. On étale hardiment les misères sociales, on met à nu les plaies, on pose le doigt sur la chair palpitante, au risque de redoubler la souffrance. C’est qu’il faut guérir avant tout; parvenue à un degré supérieur de civilisation et d’influence, l’Angleterre fait à l’armée du vice et du crime une guerre ouverte, elle ne veut plus qu’on l’accuse de dissimulation et d’hypocrisie. Au surplus, elle a besoin de tous les siens, et les jeunes existences lui semblent trop précieuses pour être ainsi fauchées en leur printemps, ravies par des misérables à la nation et à sa fortune. Quoi! mille enfans disparaîtraient tous les ans, et l’opinion indignée ne réussirait pas à endiguer ce fleuve de boue et de sang! Des hommes seraient venus au monde, destinés à développer la richesse du pays, peut-être à l’illustrer de leurs vertus et de leur génie, et il suffirait d’une main coupable pour arrêter la croissance de ces ouvriers, de ces négocians, de ces écrivains, peut-être de ces héros ! Sans parler de ce fait humiliant que, sur le territoire britannique, des petits souffrent et gémissent et que la société n’arrive pas à les défendre, il y a le rôle utile qu’ils rempliraient, la force perdue dont il n’est pas admissible qu’on se prive plus longtemps. À ces raisons d’ordre pratique, à cet instinct qui pousse les membres d’une même communauté à conserver leur bien et à l’augmenter, se mêle un sentimentalisme touchant qui se répand et trouve sa voie dans la presse, les conférences et le parlement. Revues, magazines, publications périodiques anciennes et nouvelles s’intéressent aux pauvres et aux malheureux, rivalisent de récits pathétiques. Grand et curieux mouvement, où toutes les questions sont menées de front, traitées avec une compétence et une habileté vraiment remarquables. C’est la commission du travail qui appelle dans son sein les conseillers les plus écoutés des classes laborieuses, c’est la chambre qui est saisie à chaque instant de projets philanthropiques destinés à réformer, dans un sens toujours meilleur, la vieille législation du pays. Et les associations privées sont là qui se remuent, fouillent et pénètrent partout, dénonçant aux pouvoirs publics les injustices et les hontes, montrant ainsi ce que peut réaliser de durable et de fort l’initiative de citoyens libres. Mais rien n’est plus humain et plus consolant à la fois que cette marche en avant contre les bourreaux de l’enfance. Jamais elle n’a paru plus sacrée ; on écoute en frémissant son cri d’agonie