Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/910

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faits que le courageux directeur de la Société nationale signale au pays avec une infatigable persévérance. Un comité composé des plus grands noms du royaume est chargé de faire une enquête. Elle aboutira, nous n’en doutons pas, à dissiper les ténèbres, à mettre en pleine lumière une situation obscure encore, un mal dont ceux qui en vivent retarderont le plus possible l’apparition au grand jour. Mais voudra-t-on, c’est là le point principal sur lequel insiste le révérend Waugh, voudra-t-on défendre aux compagnies d’assurances de signer des engagemens bilatéraux sur la vie des nouveau-nés, de mettre, en quelque sorte, leur tête à prix? Assurément, l’interdiction pure et simple serait accueillie avec regret par l’immense majorité des contractans de toutes classes, par ceux qui n’ont pas d’arrière-pensée et se défendraient avec énergie d’avoir autre chose au cœur que l’amour de la famille et le souci du bien des leurs. Mais l’école humanitaire dont nous parlions au début de cette étude, sans déclarer le moins du monde qu’elle n’a cure des intérêts individuels, s’efforce, avec une ardeur qui l’honore, de porter la question plus haut, de briser le cercle étroit où ses adversaires voudraient l’enfermer. Elle veut améliorer le sort des pauvres, préparer des générations meilleures. Au lieu de se borner à panser momentanément les plaies, c’est la cause intérieure qu’il faut attaquer. Le traitement passager des infirmités humaines n’est qu’un palliatif insuffisant, un adoucissement, appréciable sans doute, des souffrances de l’heure présente, mais qui disparaît sans laisser de traces, sans déposer au plus profond du malade la semence qui régénère. En somme, c’est le relèvement de la créature qu’il est indispensable d’entreprendre, en lui inculquant le sens de la dignité et de la responsabilité personnelles. Faut-il aller jusqu’à la tutelle? Non, apôtres et philanthropes ne proposent pas d’amoindrir les prérogatives des pères. Que des êtres qui n’ont pas de quoi vivre, dont le dénûment est l’hôte familier, qui ne possèdent, d’ailleurs, aucune des vertus du soutien de famille, que la paresse, l’ivrognerie, toutes les déchéances ont lentement dégradés ; — que ces êtres soient investis d’une puissance dangereuse, soit, il faut bien y consentir. Qu’ils continuent donc d’avoir la garde légale de leurs enfans, qu’ils conservent le droit de les nourrir, de les diriger, de les punir à leur guise : assurément, c’est beaucoup, c’est trop peut-être. Mais qu’à côté de ce pouvoir presque illimité se glisse, avec l’approbation de l’État, la tentation d’en abuser; que l’excitation aux pires méfaits se produise à chaque instant sous la forme la plus odieuse, voilà ce qu’il ne paraît plus possible de tolérer. On peut avoir directement intérêt à la mort de son semblable, la société est ainsi faite; mais le devoir