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de motifs d’inquiétude, le docteur disposant à peine de quelques minutes pour visiter la clientèle à domicile. L’avis est formulé à la hâte, signé sans difficulté, le temps manque pour s’attarder aux cas suspects, flairer le mensonge et les histoires. D’autre part, la situation des coroners n’est pas moins difficile. Eux aussi hésitent à poursuivre d’office en l’absence du principal témoignage. Ils ouvrent la main et voilà les meurtriers au large, riant sous cape, prêts à recommencer avec la quasi-certitude de l’impunité.

Il n’y a peut-être pas, affirme le révérend Benjamin Waugh, de ville d’Angleterre où ne se passent des faits de ce genre. Un médecin de l’une des principales villes de la région du Middland disait récemment qu’il estimait à plusieurs centaines le nombre d’enfans qui disparaissaient de cette manière, rien que dans la cité où il exerçait sa profession. Les boards of guardians, les membres du clergé, les hauts dignitaires de l’église anglicane, sont depuis longtemps fixés à cet égard. L’homme dont la passion ou le désespoir ont égaré la raison et qui tue pour obéir à l’instinct féroce du moment, s’écrie l’évêque de Peterborough, est comparativement excusable, digne même de compassion, à côté du coquin ténébreux qui accomplit froidement l’œuvre de mort. La presse ne reste pas en arrière ; elle prend une part active à ce grand mouvement de réprobation. La Saturday review, les journaux spéciaux comme le Lancet, le British medical Journal, The Hospital, et aussi les feuilles de province désapprouvent les procédés des compagnies, déplorent que des tentations pareilles soient, en quelque sorte, semées sous les pas des pauvres. Le Times écrit que si, dans la plupart des cas, la preuve absolue de la culpabilité des parens ne peut être faite, il ne se dégage pas moins des débats l’impression morale qu’on est en présence de criminels dont les pratiques coûtent à l’Angleterre des milliers d’existences. Quant à la Société nationale pour la répression des actes de cruauté envers l’enfance, elle n’est pas embarrassée pour mettre sous les yeux du public anglais les plus tristes exemples de perversité. Voici, dit-elle dans un des derniers rapports qu’elle a distribués, voici un individu qui ne travaille que le temps qu’il faut pour subvenir à son entretien et à celui de sa femme. Le ménage est en bons termes. Tous deux ont de l’affection l’un pour l’autre et ne ressentent d’éloignement que pour les êtres issus de leur mariage et qui constituent une charge sérieuse, décidément. Avant leur naissance, les douceurs ne manquaient pas; il y avait toujours de la bière pour remplir les verres, du tabac pour bourrer la pipe. Graduellement, l’instinct paternel a disparu, l’égoïsme est devenu féroce ; le couple semble n’avoir d’autre conception de la vie que