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aisée. La société veillait, était sur ses traces. Quand on opéra une perquisition à son domicile à Londres, on se trouva en face d’une matrone entre deux âges, propre, très bien mise et qui tira gravement de sa poche un certificat d’honnêteté signé du vicaire de sa paroisse. Il fut constaté que cette créature avait, en moins d’un an, expédié à des paysans de sa connaissance vingt-quatre nourrissons qu’elle s’était engagée à soigner ou à adopter. Le développement de ses affaires l’avait perdue. Elle ne négligeait pourtant aucune des précautions d’usage pour dépister les recherches, disparaissant tout à coup, changeant de quartier à la moindre alerte, cessant de répondre aux propositions de la clientèle ; toujours en règle, d’ailleurs, et conservant avec soin l’acte de naissance de ses victimes qu’il est prudent d’avoir sous la main, pour le remettre, en cas d’enquête, au coroner. Rien ne provoque l’ahurissement des familles qui ont cherché, de bonne foi, pour quelque nouveau-né chétif, une résidence à la campagne, comme cet arrêt subit des pourparlers. Elles s’informent, reviennent à la charge, tiennent absolument à savoir ce qu’est devenue leur correspondante. Elle était si convenable, avec des manières si douces et si engageantes ! La prime était peut-être un peu élevée, mais les conditions de la pension, vraiment, elle les avait établies à un prix si modéré ! Pareille aubaine ne se retrouverait pas aisément, pourquoi cette personne distinguée ne donnait-elle plus signe de vie? Brusquement, un mot, une indication, un hochement de tête de la police ouvraient les yeux aux pauvres gens. Avec quelle tendresse ne serraient-ils pas contre leur cœur le petit qu’ils avaient failli confier à des mains scélérates !

Mais il s’en faut que le mensonge, la ruse ou les fausses déclarations soient indispensables au succès de ces entreprises. Il n’est pas toujours nécessaire d’inventer, et les plans les plus simplement conçus sont quelquefois ceux qui réussissent le mieux. Dans le second des exemples que nous citions plus haut, le ménage n’avait pas eu recours aux services de la pourvoyeuse, il ne s’était pas mis en peine de couvrir d’un prétexte quelconque ses machinations intéressées. Un avis inséré dans deux journaux de Londres avait suffi à lui procurer des pensionnaires. Seule, l’adresse donnée était inexacte. Que ce fût inconscience ou coquinerie, des voisins confortablement installés à quelque distance du couple infanticide avaient consenti à ce que leur propre domicile fût indiqué dans l’annonce. Là-dessus, sans qu’aucune information complémentaire eût été sollicitée, sans que les familles eussent jugé à propos d’interroger, d’écrire, de se renseigner, deux enfans étaient arrivés, précédés de lettres contenant simplement l’indispensable prime,