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poussant des cris de douleur et cherchant vainement à échapper à leurs bourreaux prodigieusement amusés. Ce martyrologe est de l’histoire, et l’association qui livre à la publicité de semblables faits pris au hasard dans la nomenclature des affaires dont elle a saisi la police, mérite assurément la reconnaissance de l’humanité tout entière. A mesure que les encouragemens lui arrivent sous forme de donations et de souscriptions, elle étend de plus en plus sa surveillance, mais ce n’est pas sans peine qu’elle est arrivée à se constituer. Visiblement le pays n’est pas encore avec elle, on la redoute, on n’est pas loin de la considérer comme une société d’espionnage s’immisçant, sans droit aucun, dans l’intérieur des familles, désorganisant les ménages, empêchant les pères de distribuer des corrections manuelles à leur progéniture s’ils le jugent à propos. Que veut cette poignée de curieux, d’indiscrets, tranchons le mot, de trouble-fêtes qui ne craint pas de provoquer l’action de la justice et en faveur de qui tout semble depuis quelque temps conspirer?

C’est qu’en effet, avant le vote de la loi du 23 août 1889, qui a modifié si complètement, en Grande-Bretagne, la législation arriérée d’autrefois et imposé des limites à la puissance paternelle, un père n’était pas strictement et légalement tenu de nourrir les siens. Si l’abandon où il les laissait les faisait retomber à la charge de la paroisse, l’administration pouvait le poursuivre et quand elle s’y décidait, ce qui était rare, ce n’était certainement pas dans l’intérêt des abandonnés, mais uniquement dans celui des contribuables. En fait, les « gardiens des pauvres » n’intervenaient presque jamais. Entre le père repu et l’enfant famélique, nul intermédiaire, rien qui protégeât celui-ci contre les sévices, la fainéantise ou simplement l’insouciance de celui-là. La mort d’un enfant survenait-elle, arrivait-on à savoir qu’aucun médecin n’avait été appelé, que le pharmacien du quartier n’avait pas fourni de remèdes, le coroner pouvait commencer une instruction. Il ne le faisait pas, presque toujours désintéressé des affaires de ce genre, sans gravité à ses yeux et si fréquentes qu’elles en perdaient toute importance. Bref, il restait chez lui. Tout cela est changé; les parens sont aujourd’hui dans l’obligation absolue de nourrir les êtres dont ils ont la charge, ou gare l’amende et la prison. Il n’est pas nécessaire qu’ils soient mariés ; il n’est pas même indispensable qu’ils soient réellement le père et la mère, il suffit que les mineurs vivent sous leur toit. S’ils ne les entourent pas de soins convenables, s’ils les négligent, les délaissent au point de mettre en danger leur santé et leur existence, c’est deux ans de travaux forcés qu’ils risquent, tout simplement. Avis aux mendians, forains, vagabonds,