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soumises à un régime semblable ; la charité qu’elles viennent demander au ward ne leur est, en aucun cas, gratuitement accordée. Elles aussi ont à accomplir une somme de travail moindre que celle qu’on exige des hommes, encore pénible cependant, deux livres d’étoupe à fabriquer et d’interminables lavages à la fontaine. La direction conserve deux nuits et un jour ses pensionnaires des deux sexes et les rend ensuite à la liberté. A la sortie, ils sont prévenus qu’ils ne peuvent se présenter deux fois dans le même mois à l’asile. Mais la faim est mauvaise conseillère et quelques effrontés seraient capables de braver, pour avoir du pain, l’interdiction administrative. Trois jours de détention, avec tâches supplémentaires, apprendraient à ces audacieux ce qu’il en coûte de tromper la surveillance des gardiens. En somme, ces méthodes n’ont pas été adoptées à la légère. L’État, qui les prescrit et tient la main à ce qu’elles soient rigoureusement appliquées, a voulu diminuer autant que possible le nombre des gens sans aveu, moitié mendians, moitié voleurs selon lui, qui sollicitent l’hospitalité des casual wards. Il y a réussi et c’est ainsi que dans toute la ville de Londres on ne compterait pas, dans ces établissemens, plus de 1,200 personnes à la fois. Si peu accueillans y sont les visages, si rébarbatif est l’appareil de la charité officielle, que le sommeil en plein air, sur le banc d’un parc ou sous l’arche d’un pont, paraît infiniment préférable à la majorité des vagabonds. Malheureusement, là comme ailleurs, l’innocent paie quelquefois pour le coupable, et il arrive que l’ouvrier honnête ou le paysan qui émigre à la ville s’éloigne, la haine au cœur et la faim grondante aux entrailles, de ces maisons où il n’a rien trouvé de ce qu’il y cherchait, ni l’aide matérielle, ni, ce qui est plus nécessaire peut-être, la parole affectueuse qui réconforte et console.

C’est un fait profondément regrettable que la désertion des campagnes anglaises tende d’année en année à s’accentuer au profit, — peut-on bien dire au profit? — Des centres commerciaux et manufacturiers déjà si encombrés. Les districts ruraux de certains comtés, le Norfolk, le South Lincolnshire, par exemple, se dépeuplent de plus en plus, et on croit que le recensement de 1891 mettra vivement en lumière cette émigration des ouvriers de l’agriculture. Tandis que la vie des champs récompense par la santé et la force ceux qui ont la sagesse de s’y consacrer, l’afflux incessant des désœuvrés à la ville contribue à la démoralisation de la jeunesse. Le fils de fermier né et élevé au village jouit de tous les biens qui manquent à son camarade des rues. Il a l’air pur, les arbres, le ciel bleu, l’exercice et la fatigue salutaires; il grandit loin des mauvaises pensées et des tentations malsaines, pousse et