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calamités. Il existe à Londres, aussi bien du reste qu’en province, des antres fétides, nauséabonds, nids de vermine et de fièvre, inhabitables en été, glacés en hiver, et qui n’en sont pas moins considérés par ceux qui y vivent, comme des oasis bénies, des lieux de repos dignes d’envie. Une chaise boiteuse et un matelas constituent l’ameublement ordinaire de ces taudis. On dort, on mange, on boit, on meurt aussi dans la même pièce. Et que d’efforts pour acquitter le loyer d’un schelling et demi ou de deux schellings à la semaine! Payer ou s’en aller, voilà l’alternative; s’il faut partir, perdre pied, adieu la vie de famille, le courage qu’on avait déployé jusque-là, adieu aussi l’espoir d’un sort meilleur. Catastrophes si fréquentes, ayant une origine et des conséquences d’une si douloureuse uniformité qu’il suffit, pour les connaître toutes, d’en prendre et d’en citer une au hasard. T... est un bon ouvrier cordonnier de Bethnal Green, qui gagne environ quatre schellings par jour. Il est gai et satisfait de sa condition, qui n’est pas mauvaise, en effet. Malheureusement, à Noël, il tombe malade et on l’emporte à l’hôpital, où il reste trois mois en traitement; huit jours après son départ, sa femme, terrassée par une attaque de sciatique, est, à son tour, conduite à l’infirmerie du quartier. Voilà les enfans à la rue, le mobilier saisi, vendu aux enchères. A la fin, le père et la mère entrent en convalescence, réussissent à se faire admettre, sans payer d’avance, dans une chambre meublée ; à eux deux, ils possèdent huit pence, quatre-vingts centimes. L’ouvrage manque, du reste ils sont trop faibles encore pour reprendre leurs occupations. Ils commencent par porter au mont-de-piété une chemise et un tablier et on leur prête un schelling sur ces misérables gages. L’angoisse redouble, le mari se défait de ses outils, c’est-à-dire de son gagne-pain : trois nouveaux schellings les aident à subsister pendant quelques jours. Rapidement, les dernières ressources disparaissent. Un matin, il ne leur reste plus que deux pence avec lesquels ils se procurent du thé. Pendant quarante-huit heures ils n’ont pas d’autre aliment; on les trouve mourant littéralement d’épuisement et de faim. Que faisaient donc la charité privée et la commission des secours à domicile?

Neuf fois sur dix, malheureusement, la souillure physique et morale, la misère et le crime ont l’alcool pour origine. L’intempérance est la cause reconnue, publiquement avouée, de presque tous les maux dont souffre l’Angleterre. D’autre part, les conférences, les exhortations privées ou publiques, les sermons, de quelque bouche qu’ils tombent, ont incontestablement fait leur temps et l’inefficacité de ces moyens persuasifs est absolument