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en revanche, une peine flétrissante, déshonorante; caractère que n’a pas le talion vindicatif à la suite des crimes extérieurs. Le meurtrier tué par vendetta de la tribu offensée n’est pas déshonoré par cette exécution; jamais ses fils n’en ont rougi, comme, parmi nous, les fils d’un guillotiné. — Mais je ne veux pas insister sur ces considérations, qui demanderaient à être développées si elles ne nous éloignaient de notre sujet. Un dernier mot cependant. Par un côté essentiel, la criminalité externe, même aux temps les plus primitifs, ressemble à la criminalité interne. Dans l’une comme dans l’autre, le crime est une brouille, soit entre deux familles, soit entre deux parens d’une même famille ; et la peine, vengeance dans un cas, châtiment flétrissant dans l’autre, a toujours pour but d’aboutir à la réconciliation soit des deux familles (ou des deux clans, ou des deux tribus), soit des deux parens. Je vous ai tué un parent, vous m’en avez tué un; je vous ai volé un bœuf, vous m’avez volé une vache ; nous sommes quittes. Cela est si vrai que le couronnement d’une procédure criminelle, chez les Ossètes, c’est un festin de réconciliation, cérémonie pénale très singulière à nos yeux sans doute, mais qui n’en est pas moins pratiqué chez beaucoup d’autres peuples non civilisés. Il s’agit là de deux familles qui se réconcilient. Mais, à plus forte raison, nous devons être certains que, lorsqu’un membre de la famille avait subi la peine infligée par le père, — excommunication temporaire, coups de bambou comme en Chine, etc., — il y avait un festin de réconciliation aussi. La différence était que, dans le premier cas, le repas solennel était une sorte de dîner de gala diplomatique, qui met fin à la rupture de relations officielles entre deux États, tandis que dans le second cas, la Cène devait avoir un tout autre caractère, et bien plus touchant; et, si les documens législatifs ne nous disent rien à cet égard, c’est que, précisément à cause de leur nature intime, de tels spectacles sont interdits au regard de l’observateur étranger. — Le malheur de notre pénalité, à nous, est que jamais il ne vient un moment où le condamné, ayant subi sa peine, est reçu dans les bras de la société qu’il a offensée, et s’entend dire solennellement : Ta faute est effacée, reviens parmi nous! Nous avons bien une procédure de réhabilitation, mais combien froide et paperassière! Il faut avoir été membre d’un Parquet pour le savoir. Quel est parmi nous le pendant du festin de réconciliation usité chez les pauvres montagnards du Caucase? Serions-nous plus barbares que ces barbares? Et nous nous persuaderions, après cela, que c’est nous qui avons inventé le sentiment moral le repentir et le pardon !

Le remords et la réprobation, donc, en ce qui concerne les attentats