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momentané d’un accès d’ivresse ou de folie, d’un démon tentateur, en un mot, d’une cause extérieure à la personne, jamais elle n’a été sérieusement incriminée. — Il n’en est pas moins vrai que l’incrimination de croyances sincères et de leur expression précise est une aberration; mais pourquoi? Pourquoi est-il seulement permis tout au plus à une société de bannir parfois, à raison du trouble qu’ils lui causent, les apôtres de certaines idées dissolvantes ou dissonantes, mais jamais de les flétrir, ni même de les blâmer? Pourquoi serait-ce une criante injustice de réprimer par les mêmes procédés l’expression d’une foi dangereuse et la réalisation d’un désir mauvais, alors même que l’une serait aussi préjudiciable que l’autre à l’intérêt général? Ce n’est pas à la doctrine du libre arbitre qu’il faut demander de répondre, car elle convient que les désirs ne sont pas moins nécessités que les croyances. Ce n’est pas à la doctrine utilitaire non plus ; car des actes également nuisibles sont pareillement répressibles à ses yeux. Mais, à nos yeux, cette distinction se justifie par plusieurs motifs. D’abord, nos opinions sont la surface mouvante, nos passions le fond stable de notre être; celles-ci nous caractérisent bien plus essentiellement que celles-là; aussi l’ensemble de nos penchans a-t-il été fort bien nommé « notre caractère. » On appelle erreur, dans un milieu donné, le non-conformisme des opinions ; perversité, le non-conformisme des passions. Or, l’erreur et la perversité ont beau être nécessitées l’une et l’autre, il y a cette différence entre les deux, que la seconde, corruption de la volonté, nous est inhérente à fond, et que la première, viciation de l’intelligence, tient surtout à des influences extérieures.

Mais, en second lieu, il est bon de se souvenir que la responsabilité morale, dans notre manière de voir, suppose, avec la personne identique à soi-même, la personne semblable à son milieu, dans une mesure plus ou moins large. C’est une condition secondaire, mais nécessaire et dont nous parlerons bientôt. Le concours des deux est exigé ; ainsi nous replaçons le problème dans la complexité du réel, et, au lieu d’envisager scolastiquement l’acte en lui-même, abstrait de l’agent et du milieu, nous nous efforçons de rattacher intimement l’acte à l’agent, l’agent à son milieu, inséparables dans une théorie vraie, puisqu’ils le sont en fait. Eh bien, à cet égard, il faut remarquer que l’assimilation imitative, contagieuse d’homme à homme, dans une société, envahit souvent l’esprit avant d’avoir pénétré au cœur. Le malfaiteur et l’homme vicieux ont opposé une résistance invincible à la contagion de l’honnêteté relative qui les entoure, mais ils n’en partagent pas moins les idées régnantes, et, en particulier, les jugemens ambians