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— chose admissible en théorie, non encore démontrée en fait d’une manière indiscutable, — un crime était commis par suite d’une suggestion hypnotique, il y aurait lieu à l’acquittement de l’agent, à la condamnation de l’inspirateur. m’objectera-t-on que, s’il en est ainsi, et si, au fond, tous les mobiles auxquels nous cédons dans notre vie normale sont le résumé d’influences multiples reçues de divers côtés dans notre passé, et condensées en nous, sortes de suggestions enchevêtrées, nous ne sommes dès lors jamais responsables? Mais ce serait oublier la capitale distinction du mien et du non mien. Dans l’âme passive et crédule de l’enfant, de l’adolescent un peu moins, du jeune homme moins encore, toute parole paternelle ou magistrale, tout exemple du dehors, a quelque chose de suggestif, je le veux; mais si, à sa première apparition, chaque besoin nouvellement importé y a eu l’air exotique et dépaysé parmi les autres, il acquérait, à mesure qu’il s’y acclimatait avec les autres et s’y naturalisait, des droits à en être réputé partie intégrante. Suggéré d’abord, puis identifié de mieux en mieux au moi, il est entré ainsi dans le cercle ou plutôt dans les cercles concentriques de la personne, et a, par suite, de plus en plus engagé la responsabilité de celle-ci.

On peut me faire d’autres objections. On peut me dire ; si nous devons être jugés coupables de certains de nos désirs, traduits en actes, par cela seul qu’ils nous sont propres, et d’autant plus coupables que ces désirs nous sont plus profondément, plus anciennement inhérens, pourquoi ne serions-nous pas jugés coupables aussi de nos croyances personnelles, traduites en discours, et d’autant plus qu’il s’agirait de convictions plus anciennes et plus fortes ? L’objection n’est pas seulement spécieuse, elle est sérieuse à quelques égards. Mais, avant toute réponse, les doctrinaires du libre arbitre devront se garder d’en triompher, s’ils veulent bien se souvenir que les délits et les crimes d’opinion sont vieux comme le monde, que la ciguë chez les Grecs, les bûchers au moyen âge, les massacres en masse au XVIe siècle, les septembrisades ou l’échafaud il y a cent ans, en tout temps les spoliations, les destitutions et les calomnies, ont été les pénalités réservées à ce forfait inexpiable d’avoir un credo à soi, contraire au credo général. Une telle unanimité séculaire à proclamer coupables tous ces hérétiques politiques ou religieux, qu’on avouait pourtant n’avoir pas été libres d’ordinaire d’adopter d’autres croyances, n’est-elle pas la preuve manifeste que l’idée de la responsabilité-liberté est une notion d’école, étrangère au sentiment instinctif du genre humain? En revanche, nous avons le droit d’invoquer ici à notre point de vue ce fait certain que, lorsque l’hétérodoxie dont il s’agit a paru être l’effet