Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/864

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

interne ou externe, la force déterminante a entraîné irrésistiblement la volonté; il n’en faut pas davantage pour disculper moralement les plus dangereux et les plus féroces malfaiteurs. On voit déjà, par ce contraste des deux solutions, que la substitution de l’identité à la liberté comme fondement de la morale n’est pas une simple question de mot, une transposition insignifiante. On gagne à ce changement un accroissement de clarté, de précision, de solidité, de justice.

Le plus haut point de la responsabilité-liberté semble attaché à l’état d’une personne qui n’est pas faite encore, mais qui se fait, dont tous les élémens, désirs et croyances, en voie de formation et d’agrégation, en état d’équilibre instable, non rattachés entre eux, non enchaînés dans un système de coopération et de mutuelle assistance, laissent à l’hypothèse du fiat créateur un champ d’opération apparente d’autant plus vaste. Les criminels les plus coupables, ce seraient les adolescens ; les moins coupables, ce seraient les récidivistes, les grognards du crime ou du délit. Mais le zénith, l’apogée de la responsabilité-identité, c’est au contraire l’âge où se réalise la perfection du système intérieur, la stabilité de son équilibre par la prépondérance définitive d’une idée ou d’une passion autour de laquelle tout gravite dans l’âme et qui trouve, hors de l’âme, dans un milieu social conforme ou conformé à ses fins, une occasion de se déployer. On est d’autant plus coupable, à ce point de vue, qu’on est plus adapté à soi-même et à son milieu (ce second côté de la question sera examiné tout à l’heure), c’est-à-dire qu’on est plus mûr et plus vraiment soi. On l’est d’autant moins qu’on est moins formé à raison de sa jeunesse, ou plus déformé et plus déséquilibré à raison de son aliénation mentale. Entre les deux extrêmes de l’équilibre complet et de la complète déséquilibration, s’interpose une échelle immense de degrés traversés par chacun de nous dans sa longue période de croissance et de décroissance. Notre personne, en effet, est une harmonie qui se fait ou se défait sans cesse par une suite continuelle de duels intérieurs entre des opinions contradictoires ou des penchans incompatibles. Elle se fait par ces conflits, quand ils se terminent par la victoire de l’opinion ou de la tendance la plus propre à fortifier notre accord avec nous-mêmes et avec notre milieu ; elle se défait par ces mêmes luttes, quand l’issue en est inverse. Mais, dans les deux cas, si les deux adversaires à la fois sont nôtres, quoique inégalement nôtres, il y a lieu de porter sur notre décision, — fatale, n’importe, — un jugement de réprobation ou d’approbation morale. Un jeune voleur, surpris la nuit en flagrant délit par un témoin, hésite à le tuer, combattu entre le désir d’éviter le châtiment,