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d’un pourrait décrire cette angoisse mentale, si le philosophe avait, comme le poète, le droit de dire je; mais il ne l’a pas, car le moi des poètes est un nous, non le sien. Plus tard seulement, habitué au séjour de son abîme imaginaire, et pareil au Jacques le fataliste de Diderot, « qui ne connaissait ni le nom de vice, ni celui de vertu, » il « haussera les épaules » avec une certaine gaîté « quand il entendra prononcer les mots récompense ou châtiment. » Il en est des femmes comme des jeunes gens. Discutez devant elles le libre arbitre ; il y a fort à parier que la plus intelligente vous objectera : « Mais alors, si je suis née vicieuse, pourquoi me blâmer? Est-ce moi qui me suis faite ainsi? » Elle n’en prétend pas moins, du reste, avoir droit à de l’admiration pour sa beauté, qui n’est pas non plus son œuvre, aux artifices près. Avec la même précipitation outrancière de jugement, familière à l’esprit juvénile et à l’esprit féminin, l’esprit italien, — qui joue effectivement, dans le grand salon de l’Europe, le rôle de la « femme supérieure, » enthousiaste, agitatrice, très radicale d’allures, très diplomate au fond, un peu prompte à exagérer la nouveauté à la mode pour se l’approprier, — se jette, à peine éveillé au darwinisme, dans la négation de toute notion éthique. Combien faut-il que cette influence du génie national, j’allais dire du sexe national, soit puissante pour avoir entraîné M. Ferri lui-même, esprit d’ailleurs des plus virils, aussi pondéré et compréhensif que brillant; sans compter M. Garofalo, l’éminent magistrat! Mais en France, pareillement, et partout où le déterminisme, sous sa dernière forme, l’évolutionisme, a pénétré, il a fait les mêmes ravages moraux, malgré de moindres écarts de langage. Or, encore une fois, je comprends le scandale soulevé par les hardiesses que je signale. Mais à qui la faute? A ceux qui ont donné pour tout soutien au temple de l’éthique une colonne vermoulue.

La liaison étroite des deux idées de culpabilité et de liberté a sa raison d’être chez les théologiens ; sous la plume d’un moraliste et d’un sociologue, elle ne se comprend pas. Tâchons de nous représenter l’émotion attachée à l’idée du péché dans l’âme d’un puritain écossais, d’un janséniste et même d’un de ces grands stoïciens, si religieux, qui étaient les casuistes de l’antiquité; tous, cependant, plus ou moins teintés de nécessitarisme, soit dit en passant. Ce sont eux qui auraient eu le droit d’invoquer le postulat du libre arbitre, et s’ils ne l’ont pas fait, je m’explique bien que d’autres, pénétrés de la même impression profonde en face du crime, aient requis ce principe. Quand, par ce mot coupable, on entend infiniment haïssable, damnable éternellement, il va de soi que la culpabilité absolue ainsi entendue suppose une causalité