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Comme son mari, elle avait en horreur les controverses religieuses, leur attribuant beaucoup plus d’empire pour l’erreur que pour la vérité, et les considérant en général comme le fait de gens qui tenaient avant tout à faire étalage de leur esprit et de leur savoir, ce qui implique qu’elle était médiocrement disposée à accorder sa confiance à une autorité ecclésiastique quelconque. Elle dut en effet sentir assez rarement le besoin d’avoir recours aux lumières sacerdotales, ayant de longue date appuyé sa croyance sur un argument qui rend vaine d’avance toute discussion. On ne doit pas raisonner sur les objets de la religion, dit-elle, parce que, si ces objets pouvaient être atteints par l’exercice de la raison, la religion serait absolument inutile, et nous voyons qu’elle est nécessaire. Elle s’est exprimée très nettement sur ce sujet dans une courte lettre où elle ne manque ni de logique ni de vigueur.


Vous me dites, madame, dans votre dernière lettre, qu’il y a eu une grande et chaude dispute entre O... G... et C... O... touchant diverses choses qu’il est plus aisé de croire que de prouver, car si la preuve fait la science, la croyance ne fait pas la preuve. Quand bien même des milliers d’hommes auraient cru telle chose ou telle autre pendant des milliers d’années, ni le nombre des hommes, ni celui des années ne prouve que cette chose soit vraie. Cela prouve simplement que tel nombre d’hommes a cru cela pendant tel nombre d’années. La divinité est au-dessus de tout sens, de toute raison, et aussi de toute démonstration. Par conséquent, la foi est requise dans toutes les religions, car ce qui ne peut être conçu ou saisi doit être cru. Maintenant, si le pilier principal de la religion est la foi, il s’ensuit que les hommes devraient croire davantage et disputer moins, car les disputes prouvent la faiblesse de la foi, bien plus elles rendent faible une foi qui est forte. Les hommes dépensent plus de temps à disputer qu’à prier, et s’efforcent de montrer leur esprit plutôt que d’accroître leurs connaissances... Les professeurs aiment mieux enseigner les contradictions que la vérité, et les ecclésiastiques la division que l’union.


L’argument n’est pas précisément de l’invention de la duchesse, mais elle a trouvé moyen de l’accentuer d’une manière assez originale. Il est de sérieuse valeur, toutefois il faut dire qu’il est de ceux que les théologiens prudens ont toujours hésité à accepter, ou qu’ils n’ont jamais accepté qu’avec réserve. Cette façon d’avaler la religion en bloc (pour employer un mot à la mode depuis quelques mois) a le grand désavantage, en effet, de rejoindre trop facilement les principes sur lesquels s’est appuyé le scepticisme