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été le grand malheur de leur vie, elles consentent à renoncer à toute individualité psychique, et, pour rester plus sûrement unies, à rentrer l’une dans l’autre de manière à ne former qu’une seule âme, ce qui signifiera si l’on veut que notre félicité éternelle se composera de la chose que la vie nous aura cruellement refusée. On voit que la duchesse a découvert, à son insu, cette béatitude par pénétrabilité que certains mystiques n’ont pas hésité à promettre aux âmes insatiables d’aimer, béatitude à la fois redoutable et désirable, et dont la figure par anticipation nous est présentée sous forme païenne par la vieille fable d’Alphée et d’Aréthuse. Mais qu’elles soient poétiques ou quintessenciées, naturelles ou abstraites, les allégories de la duchesse ont toutes ce caractère commun qu’elles sont merveilleusement parées. Prenez ce mot dans le sens que lui donnent les arts du tailleur, de la modiste, du costumier. Elle met un soin extrême à composer à ses fantômes métaphysiques des toilettes assorties à leur signification, ce qui les fait parfois ressembler aux universaux des écoles du moyen âge qui seraient habillés comme des princes de féeries. A vrai dire, l’habitude était ancienne, les faiseurs de moralités, masques et pageans l’ayant pratiquée nécessairement pendant trois siècles; ce qui est nouveau, c’est le procédé qu’elle emploie pour ces toilettes difficiles à combiner avec harmonie, et qui lorsqu’elles ne sont pas platement banales sont aisément extravagantes. Ce sont ces dernières que préfère la duchesse. Et elle y réussit sans peine par l’emploi qu’elle fait de ces rapprochemens forcés et contre tout bon sens entre les choses les plus éloignées, que les poètes lyriques du XVIIe siècle. Donne et Cowley en tête, se rappelant, sans en trop rien dire, les vieilles leçons de l’Euphues, avaient mis à la mode. Un court exemple suffira pour donner une idée de ce parfait mauvais goût et de cette puérilité parfois amusante. Voici la toilette de la nature, on ne saurait dire qu’elle ne lui convient pas, mais ne vous semblera-t-il pas en la lisant que sa riche bizarrerie conviendrait à quelque colossale idole des temples d’Orient?


Le soleil couronne la tête de la nature de barres resplendissantes, et dans sa chevelure les étoiles pendent en guise de joyaux. Les vêtemens sont faits de cieux du plus pur et brillant azur, le zodiaque attache ses robes autour de ses flancs, les cercles polaires font des bracelets pour ses poignets; les planètes se déroulent en collier autour de son cou, les mines d’or et d’argent sont les chaussures de ses pieds, elle a pour ses jarretières de douces et suaves fleurs, ses bas sont de gazon frais et vert, ses rubans sont d’arc-en-ciel aux multiples couleurs. La poudre de sa chevelure est de neige blanche comme fait, et les vents soufflent lorsqu’elle la peigne. La lumière est le voile