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baigne sur une feuille trempée de rosée; et lorsqu’elle s’y assied, elle imprime à la feuille un petit balancement, et découvre la beauté de son corps blanc pareil à un flocon de neige nouvellement tombé. Les suivantes lui passent ensuite ses beaux vêtemens faits de la pure lumière du soleil devant lesquels s’effacent les couleurs de tous les objets dont elle s’approche, puis elle se dirige vers son dîner où l’attendent en bon ordre tous ses laquais nains. La table est un champignon, la nappe une belle toile d’araignée, son siège la fleur duvetée d’un chardon, son gobelet une coupe de gland que l’on remplit d’un nectar capiteux distillé des plus douces fleurs. En guise de bécasses, de cailles et de perdrix, on lui sert des mouches de toutes variétés, grasses et de choix. Viennent ensuite des omelettes d’œufs de fourmis frais, mais de ces mets de haute saveur elle mange sobrement. La mamelle du loir lui fournit son lait dont on fait ses fromages, sa crème et son beurre. Lorsqu’on l’a mêlé avec une foule d’ingrédiens et qu’on y a cassé des œufs frais de fourmis, son habile cuisinière sait bien comment on en compose pudding, crème ou gâteaux de grain. Pour adoucir ces friandises, l’abeille apporte un miel pur ramassé par son aiguillon. Mais la nourriture des gens de service est plus grossière, elle se compose de viande de loir engraissé à l’étable. Lorsqu’elle a dîné, pour prendre l’air, elle commande son carrosse, qui est une belle coquille de noix, délicatement bordée et richement doublée à l’intérieur d’une peau brillante de couleuvre. Six cri-cris la voiturent en toute vitesse, lorsqu’elle doit faire un voyage pressé, mais deux suffisent lorsqu’elle veut faire au pas un tour de promenade et flâner à travers le pays des fées. Elle prend quelquefois plaisir à la chasse : si c’est à voler, son oiseau est un frelon au vol agile dont les cornes lui servent de serres vigoureuses pour retenir la mouche-perdrix; si c’est à courre, le lézard lui tient lieu de daim, il fuit si vite, si rapide, que le trop lourd carrosse ne peut le suivre : alors elle saute en selle sur la sauterelle et galope à travers la vaste forêt. Pour viser le lézard à la hanche, elle porte un arc fait d’une branche de saule dont la flèche aiguë, presque comme une lance, est d’une feuille de romarin. Le signal du retour au logis lui est donné par le coq dont le chant lui sonne l’heure, et lorsque la lune se cache, sa journée est finie, et elle va se coucher. Des météores, lorsqu’il y en a, l’éclairent comme font les torches; pour lumières, pendant qu’elle soupe, on pose sur la table des vers luisans. Mais les femmes, race inconstante, ne savent jamais se tenir longtemps en paix à la même place; impatiente d’un trop long retard, elle appelle son char, et, en route pour la terre supérieure !

Le magnifique palais qu’habite la reine est un édifice construit de coquilles de crabe. Les portières à l’intérieur en sont d’un fin arc-en-ciel d’un effet merveilleux qui vous saisit dès l’entrée; les appartemens