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ses commérages, qui n’épargnent rien ni personne. « Quelqu’un est-il richement vêtu, il est envié ; porte-t-il de simples, d’humbles vêtemens, il est méprisé ; une femme est-elle d’une beauté qui passe l’ordinaire, elle peut se tenir pour sûre des dépréciations et des médisances de tout son sexe; une autre est-elle laide, on lui fait un reproche de sa laideur, quoique ce soit la faute de la nature, non la sienne. Cette autre est-elle simplement de visage passable, on la traite de personne négligeable; s’il en est de vieilles, on dira qu’elles sont mieux faites pour la tombe que pour le monde ; de jeunes, on dira qu’elles sont mieux faites pour l’école que pour la conversation. En est-il d’âge moyen, toutes les langues de ces dames vont annoncer d’avance sa prochaine décrépitude ; est-elle riche et sans titre, on dira : elle est comme la viande, tout graisse et pas de sang ; a-t-elle de grands titres et peu d’argent, on dira : c’est un pudding sans sauce... » Et cette sorte de lamentation funèbre que nous nous étions réservé de citer sur la mort de son beau-frère, sir Charles Cavendish : « Je construirai son monument de vérité, puisque je ne le puis de marbre, et je suspendrai mes larmes sur sa tombe en guise d’écussons. Il était noblement généreux, sagement vaillant, naturellement poli, sincèrement bon, loyalement aimant, vertueusement modéré; ses promesses étaient comme un décret irrévocable, sa parole comme la destinée; sa vie était sainte, son naturel doux, sa conduite courtoise, sa conversation pleine de charmes ; il avait un esprit prompt, une science vaste, un jugement net, une intelligence claire, une pénétration sensée ; quoique sa bouche ne prêchât pas la philosophie morale, sa vie l’enseignait, et il était tel enfin qu’il aurait pu servir de modèle à tout le genre humain. » L’imprévu des images, l’outrance des métaphores, les énumérations prolongées et antithétiques de Shakspeare sont assez reconnaissables dans ces extraits pour qu’il soit utile d’insister.

La même influence se fait également sentir dans les poésies de la duchesse, mais avec cette nuance que c’est moins sur le style que sur la fantaisie de l’auteur et le choix de ses sujets qu’elle a eu action cette fois. Croiriez-vous, par exemple, que c’est par ses poésies que les fées ont fait figure pour la dernière fois dans la poésie anglaise? Vous connaissez le grand rôle qu’elles ont joué, chez les poètes de l’époque d’Elisabeth et de Jacques, chez Spenser, Shakspeare, Ben Jonson, Drayton, et aussi, sous des noms plus classiques, dans les poèmes de la jeunesse de Milton. Mais à mesure que le siècle a marché, elles se sont éloignées et rapetissées toujours davantage, si bien qu’à la fin on ne les trouve plus qu’à l’état d’ombres phosphorescentes et d’atomes miroitans comme