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Ben Jonson et Dryden. Si l’on tient, d’une part, que Ben Jonson, Fletcher, Massinger, Milton et autres appartiennent en réalité à l’Elizabethan era, et, d’autre part, que le classicisme de la restauration s’est présenté trop tardivement pour qu’on puisse le considérer comme la représentation de l’esprit anglais au XVIIe siècle, on ne trouvera rien qui appartienne plus en propre à ce siècle, qui le caractérise plus particulièrement que cette poésie dont les noms de Donne, de Crashaw, de George Herbert, de Wither, de Lovelace, de Waller, de Cowley, disent à la fois les mérites et les faiblesses. Eh bien! c’est encore une illusion. Cette poésie lyrique se rapporte moins directement, mais aussi sûrement que la poésie dramatique, à l’Elizabethan era, car elle dérive de John Lilly et de son Euphues. C’est l’euphuisme qui, longtemps contenu par les barrières robustes que lui opposait la vogue persistante du plus vigoureux des genres littéraires, le drame, a fini par trouver sa pleine liberté avec les genres plus fluides de poésie que réclament les rêveries érotiques et les divagations religieuses. De quelque côté qu’on regarde, on ne trouvera donc, dans l’Angleterre du XVIIe siècle, qu’un prolongement de l’Elizabethan era, en sorte que cette appellation de surannée, dont les contemporains de la duchesse la gratifièrent, put bien s’appliquer justement à ses costumes et à ses manières, mais serait aussi injuste que légère appliquée à sa manière de penser et de parler, qui fut celle de tous ses contemporains, sauf ceux de la dernière heure.

Puisque par sa culture littéraire elle se rapporte au courant de l’Elizabethan era, est-il possible de surprendre chez elle quelques préférences pour tel ou tel des écrivains de cette période? Oui, cela est possible au moins pour le plus grand de tous, quoiqu’elle ne l’ait jamais nommé. La prose de la duchesse, aux bons endroits, porte la marque irrécusable de l’influence de Shakspeare et pourrait être parlée sans désavantage par les amoureuses et les philosophes de ses drames. Quelques exemples, mieux que toutes les paroles, feront ressortir ces ressemblances. Il s’agit de la mort de sa mère, qui resta belle jusqu’à la fin. « Et quand vint sa dernière heure, on aurait pu croire que le trépas s’était énamouré d’elle, car il l’embrassa dans son sommeil, et tout doucement, comme s’il eût eu peur de la blesser. » Parlant de l’éducation des pensionnats de demoiselles, pour laquelle sa libre éducation lui avait donné une aversion qu’elle explique avec beaucoup de sens, elle dira : « Toutes les demoiselles élevées dans les écoles sont comme ces plats préparés dans la boutique d’un cuisinier, lesquels ont toujours goût de la casserole et de la fumée. » Elle explique qu’elle vit dans la solitude parce que le monde lui est odieux par