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qu’elle représente et auquel elle ressemble, elle n’agit plus que par des mouvemens brusques, passionnés, précipités. Quant au roi, quelle influence lui reste-t-il ? Il n’a plus ni places à distribuer, ni récompenses à donner. Le pouvoir exécutif n’existe plus, puisqu’il n’a plus ni agens, ni organes.

Voilà les difficultés. Quels sont maintenant les remèdes ? Est-ce la fatalité d’une situation sans issue ? Quelles que soient la fertilité d’invention de Mirabeau, son audace et son absence de scrupules, il ne paraît avoir trouvé aucun moyen décisif de rétablir l’intégrité du pouvoir en conservant la liberté. J’entends bien qu’il propose de tendre des pièges à l’assemblée, d’embarrasser sa marche et de la pousser vers une tyrannie qui la rendrait odieuse au pays. Est-on sûr qu’elle se prête à ces combinaisons machiavéliques ? est-on même sûr que ces combinaisons réussiraient ? Combien de lois a-t-on réussi dans l’histoire à faire sortir le bien de l’excès du mal ? Quand on en est réduit à cette extrémité, on risque fort de précipiter le mal sans obtenir en échange la compensation qu’on espère. Pousser l’assemblée à retenir ou à usurper tous les pouvoirs, désorganiser le royaume, multiplier l’anarchie, préparer une crise aiguë, est-ce bien frayer les voies à une monarchie constitutionnelle ? On prépare ainsi la Terreur et l’Empire, Robespierre et Bonaparte. On ne laisse aucune chance à la liberté. Et cependant Mirabeau ne veut instituer qu’un gouvernement libre ; il a toujours combattu, il combat encore le despotisme.

Mais en le combattant il ne s’aperçoit pas qu’il le crée. Au pouvoir absolu qu’il reproche à l’assemblée d’accaparer, il substitue un gouvernement occulte concentré en quelques mains, une coalition mystérieuse, dont les membres seront associés sans le savoir, sous la direction de Montmorin et sous la sienne. Il organise le nouveau parti constitutionnel comme une vaste conjuration qui partirait de la cour pour embrasser tout le royaume. Trois moyens d’action seraient à la disposition des conjurés, l’argent, la publicité, l’espionnage. L’enjeu est si gros qu’il faut se résigner à d’énormes dépenses. On n’aura des hommes sûrs et dévoués qu’en les payant. Mirabeau sait mieux que personne à quel prix s’achète une conscience. Un atelier de publications sera établi à Paris d’où il rayonnera sur les provinces. Cet ensemble de mesures sera complété par un atelier de police dont Mirabeau dé- termine les attributions avec une précision minutieuse. Chaque jour les deux chefs du complot, Montmorin et lui, doivent savoir ce qui se passe à l’assemblée, aux Jacobins, au club monarchique, dans les lieux publics, dans les cafés, aux théâtres, dans les clubs, sur les promenades, chez M. de La Fayette, parmi les ouvriers, les