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presque tous les volumes publiés sous le nom de Mirabeau. Ses procédés de composition et de travail exigeaient un groupe de collaborateurs. Duroveray, Dumont de Genève, Clavière, Pellenc, Reybaz, d’autres encore, formaient auprès de lui un véritable atelier auquel il faisait de continuels emprunts. Cela lui coûtait fort cher, mais lui permettait de se tenir prêt sur toutes les questions. C’est grâce à ce formidable instrument de travail qu’il put prendre la parole sur les sujets les plus divers, s’imposer à une assemblée d’abord hostile et y asseoir son autorité. Plus d’un discours dont la forme et le mouvement oratoire entraînaient les esprits, ne renfermait que des idées qui lui avaient été fournies par d’autres. Le comte de La Marck connaissait cette manière de travailler et l’avait fait connaître à M. de Bacourt. Pourquoi celui-ci, ayant à publier une correspondance qui portait le nom de Mirabeau, n’aurait-il pas considéré comme un devoir d’éliminer des lettres et des notes personnelles tout ce qui n’était pas de Mirabeau lui-même, ou tout au moins de Pellenc, étroitement associé à ses pensées, tout ce qui pouvait porter par exemple la marque de fabrique d’un collaborateur de troisième ordre? C’est là un genre de scrupule qui a bien aussi son prix, qu’un honnête homme peut éprouver, auquel nous n’avons pas le droit de substituer comme une règle nos habitudes modernes d’information et de publication à outrance.

Soyons reconnaissans à M. de Bacourt de ce qu’il nous a donné, sans lui faire un grief de ce qu’il ne nous donne pas. Il a plus fait que personne pour la gloire de Mirabeau. C’est dans la correspondance publiée par lui que nous trouvons les meilleurs motifs d’admirer la vigueur et la variété des pensées politiques de l’orateur. Les discours de Mirabeau nous font connaître son génie oratoire ; l’homme d’État ne se montre chez lui tout entier que dans les mémoires ou notes qu’il adressait à la cour. Depuis le mois de juin 1790 jusqu’au mois de mars 1791, il a dû en adresser en moyenne deux par semaine. Tous ces documens ne nous sont pas parvenus, mais il nous en reste cinquante qui suffisent à nous faire connaître le fond de la pensée de Mirabeau, comment il jugeait les événemens, quel parti il proposait d’en tirer pour sauver la monarchie. La morale n’a, bien entendu, rien à voir dans cette œuvre de pure politique. C’était, nous le savons, un des moindres soucis de Mirabeau. Il n’y faut pas chercher non plus une suite trop étroite dans les idées. Il ne s’agit pas de composer en toute liberté dans le domaine de l’abstraction une théorie de gouvernement. Il faut compter avec les faits, avec les hommes, avec une situation qui se modifie. La mobilité des événemens entraîne nécessairement