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et des promesses est nul également entre les mains du monarque, puisqu’il ne peut plus faire ni bien ni mal à personne. »

Mirabeau n’avait pas pressenti tous ces inconvéniens lorsque l’assemblée délibérait. Par un reste d’habitude révolutionnaire, il s’associa même à plus d’une mesure qui affaiblissait le pouvoir royal. Mais dès qu’il se fut mis en tête de sauver la monarchie, comme il le promettait à la reine dans l’unique entrevue qu’il eut avec elle, il reconnut la nécessité de reconstituer d’abord l’administration, de rétablir un pouvoir fort. C’est là une des idées qui reviennent le plus souvent dans les merveilleux mémoires qu’il adresse à la cour. On dit que ces mémoires étaient une des lectures favorites de Gambetta. Cela se comprend. Gambetta, qui était un homme d’autorité, avait vu les ressorts du gouvernement détendus par la guerre et par la Commune, il cherchait dans Mirabeau des argumens et des moyens pour leur rendre toute leur force.

Avant d’aller plus loin, il est nécessaire de traiter une question qui a été soulevée récemment. La correspondance de Mirabeau et du comte de La Marck, publiée en 1851 par M. de Bacourt, est-elle complète? Possédons-nous les documens essentiels que Mirabeau mourant avait confiés au comte de La Marck, en lui recommandant de les publier pour venger et justifier sa mémoire? M. Aulard, professeur d’histoire de la révolution à la faculté des lettres de Paris, en général très bien informé, le conteste absolument. Il rappelle qu’après la mort de Mirabeau, La Marck et Pellenc commencèrent par brûler une partie de ses papiers, parmi lesquels il y en avait beaucoup d’importans. Les choses ne se sont pas passées aussi simplement que le ferait croire le récit un peu sommaire de M. Aulard. M. Charles de Loménie recompose la scène tout entière, avec une scrupuleuse exactitude. Quand un homme public meurt, le gouvernement retire en général de sa succession les papiers d’état qu’il ne veut pas livrer à la publicité et dont la divulgation lui paraîtrait dangereuse. La cour se garda bien de négliger une précaution si nécessaire. Aussitôt que la mort de Mirabeau fut connue, l’intendant de la liste civile, La Porte, fut chargé de s’assurer, avant l’intervention des gens de justice, qu’aucune pièce compromettante pour la cour ne restait parmi les papiers du mort. La Marck, ami de la reine autant que de Mirabeau, chercha évidemment, dans cette circonstance tragique, à concilier des devoirs en apparence contradictoires. Pellenc lui-même, simple secrétaire de Mirabeau, traité souvent par lui en subalterne, mais ayant le sens de la diplomatie, eut des scrupules rétrospectifs. Il raconte dans une note inédite qu’ayant obtenu