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sur tout l’univers catholique. Il enveloppait les femmes avec les hommes depuis qu’une jeune fille d’Assise, sainte Claire, avait fondé sous la direction de saint François les Pauvres dames ou Clarisses.

La création du tiers-ordre le compléta. Saint François en avait eu l’idée devant les foules en délire qui se précipitaient maintenant à sa rencontre dans ses tournées de prédication. Le bruit qu’Assise possédait un « saint de Dieu » s’était répandu à travers les provinces, et les campagnes se levaient, les villes sortaient en masse pour fêter celui qui parlait face à face à l’Éternel. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfans l’escortaient avec des branches vertes. Les cloches sonnaient, la multitude entonnait des cantiques, des rumeurs d’allégresse emplissaient les airs et toute une population oubliait pendant quelques heures les maux de la veille et les maux du lendemain. On n’avait plus qu’un souci : s’assurer une place pour entendre ce que l’homme de Dieu allait dire. Il parlait et les assistans sentaient passer sur leur tête le souffle de l’Esprit. — « Son vêtement était sale et en lambeaux, dit un témoin oculaire, sa personne chétive, son visage pâle; mais Dieu donnait une puissance inouïe à ses paroles. » — Il prêchait la fin des haines, et les villes faisaient la paix, les ennemis se réconciliaient. On vit des nobles se repentir en l’écoutant et renoncer à leurs cruautés. Les auditeurs s’agenouillaient en grandes troupes devant saint François pour qu’il les reçût parmi ses enfans. Il était obligé de les repousser; le nombre des mineurs devenait ridicule. Un jour qu’il prêchait à Cannara, à deux heures d’Assise, le village se jeta en pleurant à ses pieds; hommes et femmes, jeunes et vieux, voulaient entrer dans l’ordre. Saint François leur promit de chercher quelque chose pour eux. Ce quelque chose fut le tiers-ordre, un des grands événemens du moyen âge.

Rien de plus inoffensif au premier abord. Le tiers-ordre était une confrérie religieuse, ouverte aux fidèles des deux sexes qui désiraient mener une vie pieuse et réglée, sans sortir du monde ni prononcer des vœux. Deux ou trois articles du règlement, inspirés par le cardinal Hugolin, transformèrent l’innocente communauté en une machine de guerre formidable, qui contribua autant et plus que les mineurs à battre en brèche le système féodal. Le chapitre vu défendait aux tertiaires de porter des « armes offensives, si ce n’est pour la défense de l’Église et de la foi de Jésus-Christ ou pour la défense de leur pays, ou avec la permission de leurs supérieurs. » — Au nom du chapitre VII, les vassaux refusèrent le service militaire à leurs suzerains. Quand ceux-ci voulurent les contraindre, ils trouvèrent en face d’eux le pape, poussé par le cardinal Hugolin et prêt à les excommunier s’ils molestaient