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Pour le moment, il ne vient que des incidens, des imbroglios, des bruits de conspirations ou de scènes intérieures qui ne laissent pas d’avoir parfois un certain caractère de violence et une originalité locale.

De ces jeunes états du Danube ou des Balkans, le moins agité est encore peut-être la Roumanie, et la Roumanie elle-même, quoique mieux fixée, mieux garantie, n’est pas à l’abri des violentes oscillations des partis, des incohérences intérieures. Elle se ressent encore des dominations qu’elle a subies, des révolutions qu’elle a traversées, et même des crises plus récentes où elle a définitivement conquis son titre de principauté indépendante, sa place parmi les royaumes. Dans cette dernière phase de son existence tourmentée, elle avait été surtout représentée et dirigée par un homme qui vient de mourir à Bucharest, qui avait passé sa vie dans les agitations révolutionnaires et les conspirations avant de devenir le promoteur de la royauté nouvelle et un chef de ministère, qui était arrivé un instant à exercer une véritable omnipotence dans son pays. M. Jean Bratiano. Pendant son ministère de douze ans, — 1876-1888, — qui coïncidait avec la guerre de la Russie contre les Turcs, M. Jean Bratiano s’était fait une sorte de dictature. C’est lui qui, à l’ouverture des hostilités, décidait l’alliance de la Roumanie avec les Russes et ménageait à la jeune armée roumaine l’occasion d’aller gagner devant Plewna la couronne royale pour son prince. C’est lui qui, après la guerre, par une évolution savamment calculée, pour se dérober à la tutelle russe, allait chercher un appui en Autriche, en Allemagne, et faisait de son pays une sorte d’annexé de la triple alliance. Il ne manquait pas de hardiesse et de désinvolture dans la diplomatie. Il passait d’une alliance à l’autre, il s’était fait tout Allemand dans sa politique extérieure. Il y joignait malheureusement une absence totale de scrupules dans sa politique intérieure, un goût de l’arbitraire et de la force, des habitudes de corruption administrative qui ne sont pas rares chez un ancien révolutionnaire. Il faisait si bien qu’après avoir été le dictateur de la Roumanie, après avoir abusé de tout et tout épuisé, il finissait par tomber sous le poids d’une immense impopularité, désavoué par l’opinion, par les libéraux roumains. C’est tout au plus s’il échappait à une mise en accusation. C’était assurément un homme d’une vigoureuse trempe, qui avait peut-être été un peu grisé par l’ambition d’être un Bismarck du Danube. Il est mort sans avoir eu l’occasion ou le temps d’essayer de se relever devant l’opinion. M. Jean Bratiano avait, dans tous les cas, laissé à ses successeurs et à son pays une situation hérissée d’embarras, une crise qui dure encore, qui n’a sans doute rien d’irréparable pour le jeune royaume, mais qui lui crée des conditions singulièrement épineuses, à commencer par la difficulté de faire un ministère qui dure.

Sortie des mêmes crises de 1877-1878, la Bulgarie indépendante est