Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/716

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à peine, un arrangement nouveau qui, sans reconnaître les droits traditionnels du Portugal, sans lui laisser surtout la contiguïté des possessions entre les deux océans, lui attribue encore cependant des territoires assez étendus. C’est, si l’on veut, un demi-succès, une apparence de concession obtenue par le gouvernement portugais. La situation ne reste pas moins critique, et tout dépend de la ratification du parlement de Lisbonne.

S’il n’y avait que le conflit africain, ce serait toujours beaucoup sans doute : la dernière convention pourrait néanmoins encore passer pour une demi-satisfaction. Malheureusement, à la crise diplomatique vient se joindre une crise d’un autre genre, financière, monétaire, industrielle, que le différend avec l’Angleterre a certainement contribué à aggraver en mettant le trouble et la ruine dans toutes les affaires. La vérité est que ce petit pays en est à se débattre dans une situation inextricable qu’un écrivain portugais résumait récemment en disant : « Nous avons un déficit colossal, des emprunts ruineux contractés dans des conditions humiliantes, et nous nous trouvons à présent en face d’une crise industrielle, monétaire, agricole, ouvrière, redoutable. » Interruption de toutes les entreprises, panique dans les affaires, raréfaction du numéraire, suspension forcée des échéances, tout se mêle. C’est sous le poids de ces difficultés que le ministère de bonne volonté et de conciliation formé il y a quelques mois par le vieux général Abreu e Souza a récemment succombé. La difficulté était justement de reconstituer un ministère dans des conditions si troublées. Le roi dom Carlos s’est adressé aux représentans des divers partis, progressistes et conservateurs, notamment au chef d’un précédent cabinet, M. Serpa Pimentel. Toutes les combinaisons ont échoué, et le roi s’est alors décidé à rappeler au pouvoir M. Abreu e Souza, qui a reconstitué son ministère avec un habile financier, M. Mariano Carvalho, avec un ancien ambassadeur à Paris, le comte de Valbom. Ce cabinet renouvelé sera-t-il plus heureux que tous les autres? Il n’a pas seulement à soumettre au parlement de Lisbonne le traité qui a été signé avec l’Angleterre et qui doit être ratifié dans un délai de trente jours; il a en même temps à raffermir toute une situation, la situation politique, financière du Portugal, à décourager par ses actes ceux qui se flattent encore de renouveler à Lisbonne la révolution de Rio-de-Janeiro.

On ne sait jamais ce qui peut venir du côté des Balkans, de ces petits états danubiens naguère détachés de l’empire ottoman, aujourd’hui livrés à eux-mêmes, à leurs passions, à toutes les fluctuations d’une vie agitée et précaire. Il peut toujours venir des orages, des surprises, des complications que la diplomatie s’efforce de détourner ou de contenir, qui peuvent néanmoins éclater à l’improviste, réveillant d’un seul coup le vieux problème oriental, éternelle obsession de l’Europe.